Cofondée par Julien Hennequin et Jordan Vannitsen (IPSA promo 2009), Odysseus Space est la première entreprise spatiale privée de Taïwan. Spécialisée dans les nanosatellites, elle était au cœur de la première conférence d’IPSA Demain, le nouveau rendez-vous dédié aux futurs métiers de l’ingénierie, organisée le jeudi 14 décembre 2017 sur le campus parisien de l’IPSA. Invités par l’école et l’association IPSA ONE à présenter leur entreprise, les deux Anciens se sont prêtés au jeu de l’interview en marge de l’événement.
Quel a été votre parcours depuis votre diplôme de l’IPSA en 2009 ?
Jordan Vannitsen, Chief Operating Officer : Après ma dernière année à l’IPSA, je suis parti effectuer un double-diplôme à la National Cheng Kung University (NCKU), à Taïwan. Ensuite, j’ai passé deux ans à l’Agence spatiale européenne (ESA) pour travailler sur les premiers CubeSats lancés par Vega, le premier lanceur européen prévu à cet effet. En 2012, j’ai fait mon retour à Taïwan pour un doctorat à la NCKU. Enfin, en avril 2016, en parallèle à mon doctorat, j’ai participé à la création d’Odysseus Space, toujours à Taïwan. D’ailleurs, la NCKU fait partie des partenaires historiques de la start-up.
Julien Hennequin, Chief Executive Officer : Pour ma part, j’ai réalisé ma dernière année de l’IPSA en Chine, à l’Université aéronautique de Shenyang (SAU). Une première expérience en Asie fondatrice. Ensuite, j’ai réalisé mon stage de fin d’études en Allemagne, pendant presqu’un an, chez EADS Astrium à Munich. À l’époque, je travaillais au sein du bureau business developement des processeurs de contrôle d’altitude. Cela m’a vraiment donné le goût du métier d‘ingénieur technico-commercial et mis le pied à l’étrier pour mon premier poste en tant que sales manager dans une entreprise hollandaise, ISIS Space, justement spécialisée dans la vente de systèmes pour nanosatellites. À cette période, Jordan faisait d’ailleurs partie de mes clients dans le cadre d’un projet de CubeSat mené à la NCKU. Nous étions restés très proches depuis la fin de l’IPSA et ce sont nos activités professionnelles communes qui nous ont amenés à nous recroiser régulièrement. C’est durant ces échanges qu’il a émis pour la première fois l’idée de créer une start-up à Taïwan de par les opportunités sur place. Une fois l’idée mûrie, nous nous sommes lancés dans l’aventure il y a deux ans.
Finalement, c’est via l’école que vous avez pu tisser un premier lien avec l’Asie.
Jordan : Oui, mais l’inverse est aussi vrai ! En effet, j’ai pu découvrir une première fois Taïwan en 2007, à l’occasion d’un stage trouvé un peu par hasard – un ami m’avait parlé en bien du pays et j’avais donc décidé de chercher une offre possible dans le spatial là-bas. L’expérience m’a tellement plu que j’en ai directement parlé avec la direction des relations internationales de l’école à mon retour. C’est de là qu’est ensuite né le partenariat liant l’IPSA à la NCKU !
Quand on pense à l’aérospatial, on ne pense pas forcément tout de suite à Taïwan. Pourquoi avoir choisi de créer Odysseus Space là-bas ?
Jordan : Mon stage initial, mon double-diplôme et mon doctorat m’avaient démontré qu’il y avait de réelles opportunités sur place. On pouvait déjà y retrouver les équipements de la National Space Organization (l’agence spatiale taïwanaise) et plusieurs projets spatiaux publics menés, mais pas encore d’industrie véritablement dédiée au spatial. D’où l’intérêt de proposer une start-up comme Odysseus Space afin de pouvoir établir ce lien jusqu’alors manquant entre ces différents acteurs.
Julien : Il ne faut pas non plus oublier un autre paramètre : Taïwan est l’un des plus gros producteurs de composants électroniques. Ces composants, on les retrouve bien sûr dans les téléphones portables, mais aussi aujourd’hui dans les nanosatellites. C’est donc un réel avantage que d’être une entreprise dans le pays contrôlant une grande partie de la production des cartes mères utilisées de plus en plus dans le domaine du spatial à bas coût, surtout si l’on souhaite à terme produire soi-même des systèmes à moindre frais.
Voir deux français créer une entreprise spatiale à Taïwan n’arrive pas tous les jours. Comment êtes-vous vus sur place ?
Jordan : Il y a des avantages et des inconvénients comme pour toute création d’entreprise, mais le projet d’Odysseus Space a été très bien accueilli par les acteurs locaux. C’est une relation gagnant-gagnant. Ainsi, nous pouvons permettre à Taïwan d’avoir accès à notre réseau à l’international, réseau que nous avons tissé au fil des années et de nos précédentes expériences. L’inverse est aussi vrai : à travers nous, notre réseau international se voit aussi offrir un accès facilité à Taïwan sur la question des projets spatiaux.
En ce qui concerne les inconvénients, ils ont surtout été d’ordre administratif car ce n’est effectivement pas si commun que cela pour l’administration taiwanaise de voir des étrangers monter une société chez eu, qui plus est dans le spatial !
Julien : Il y a aussi la barrière de la langue et de la culture. Mais là aussi, les Taiwanais sont assez compréhensifs : ils savent que nous ne connaissons pas forcément toutes les subtilités de leur culture. Cela dit, ça peut aussi être un avantage : dans le paysage industriel taiwanais, on ressort tout de suite. L’agence spatiale comme les industriels locaux savent qui sont ces deux français et ce qu’ils font.
Justement, qu’est-ce que fait et propose Odysseus Space aujourd’hui ?
Jordan : Nous avons d’abord une offre de services couvrant des missions de nano et microsatellites. Nous intervenons ainsi de A à Z en support, dès le début du projet jusqu’à son aboutissement. Par exemple, si un client scientifique ou commercial vient avec une idée, nous allons réaliser l’analyse de mission, puis proposer notre expertise en matière de design, de software, d’assemblage, d’intégration et même de testing du satellite via notre accès aux équipements de l’agence spatiale et de la NCKU. Nous amenons aussi un soutien sur les campagnes de lancement – pour, justement, trouver un lancement – ou sur la communication avec les satellites, rendue possible grâce à l’accès aux stations sol de l’agence spatiale et de la NCKU.
Notre deuxième activité concerne la recherche et le développement, avec notre travail sur des technologies innovantes associées à de petits satellites : on se focalise alors davantage sur la navigation autonome de ces satellites dans un contexte interplanétaire. Nous avons aussi un projet de propulsion pour petits satellites, mené en partenariat avec l’Observatoire de Paris et la NCKU.
Qui sont vos clients ?
Julien : Notre premier client a été la NCKU, ce qui nous a permis de nous lancer. Par la suite, le fait d’être français nous a permis de très vite monter des projets franco-taiwanais. Nous travaillons ainsi avec l’Observatoire de Paris, mais aussi le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l’Université Paris-Diderot. Aujourd’hui, nous nous tournons également vers d’autres acteurs du marché asiatique, comme le Japon, le Vietnam ou encore l’Indonésie pour étendre notre réseau. En développant nos activités de services et de support en Asie, nous pourrons financer sur le long terme notre activité de R&D.
Ce marché du CubeSat et du nanosatellite a-t-il vocation à devenir de plus en plus important ?
Florian : Il s’inscrit d’abord dans cette tendance forte liée à la miniaturisation des technologies. Désormais, avec ces nano et microsatellites moins chers et plus rapides à développer, on peut réaliser des missions encore inconcevables il y a quelques années. Si l’on veut tester un système, plutôt que d’envoyer dans l’espace un gros satellite coûteux, on peut maintenant le tester sur ces satellites d’un nouveau genre. Cela permet à des pays développés déjà impliqués dans le spatial d’imaginer de nouveaux projets, mais aussi à des pays émergents de se lancer. Sur les 10-15 dernières années, on remarque d’ailleurs de nombreux satellites lancés par ces pays-là grâce à ce nouveau marché.
Quid de la pollution spatiale avec cette recrudescence de lancements de nanosatellites ?
Julien : Certains considèrent les nanosatellites comme une pollution, mais la grande majorité d’entre eux respectent les règles en vigueur à l’inverse des gros satellites. Après, il y a une réelle prise de conscience aujourd’hui sur la nécessité de préserver l’espace pour les générations futures et qu’il ne faut pas faire n’importe quoi.
Votre présence à l’IPSA à l’occasion de cette conférence s’est faite en partenariat avec IPSA ONE, une association étudiante dont le but est de créer son propre nanosatellite. En tant qu’Anciens, êtes-vous émus de voir un tel projet prendre forme ?
Jordan : Il s’agit d’un bon projet, très intéressant au niveau de l’ingénierie et du management, qui amène une bonne formation aux étudiants pour être encore davantage prêts pour la vie professionnelle. C’est véritablement un projet que nous aimerions encourager à l’avenir.
Julien : Inutile de préciser que nous aurions aimé pouvoir travailler sur un CubeSat lors de nos études à l’IPSA ! En tant qu’Anciens travaillant dans ce domaine, nous sommes évidemment prêts à accompagner IPSA ONE, que ce soit dans un rôle de mentors ou dans le cadre d’un partenariat. D’ailleurs, je pense vraiment que l’IPSA, en tant qu’école d’ingénieurs aérospatiaux, doit se lancer pleinement dans l’aventure CubeSat. Apprendre en construisant, c’est un outil formidable.
Et cela fait quoi de revenir à l’IPSA en tant que professionnels et non plus en tant qu’étudiants ?
Jordan : Nous sommes vraiment contents d’être de retour à l’IPSA et de voir combien l’école a changé depuis notre départ, avec beaucoup d’améliorations. Aussi, en tant que membre fondateur de l’association IPS’Action, je me souviens de nombreuses conférences que nous avions pu organiser à l’école avec des invités capables de nous faire rêver, de nous donner des idées et de nous inciter à de persévérer dans cette voie. Si nous pouvons à notre tour apporter un peu de rêve, d’espoir et d’idées aux nouvelles générations, c’est que nous avons atteint notre objectif !
Julien : L’IPSA, c’est beaucoup de bons souvenirs et, comme disait Jordan, c’est impressionnant de voir à quel point l’école a changé en quelques années. Donner une conférence, c’est plus que motivant : on se dit que c’est désormais de notre responsabilité d’inspirer et de motiver les étudiants à travailler dans le spatial pour résoudre les problèmes de demain !