Rien n’y fera, l’évolution de notre société et de nos modes de vie nous obligent déjà à y penser sérieusement. Entre acceptation psychologique et prouesse technique, la question de la place des automatismes dans notre quotidien a depuis quelques années fait son chemin dans l’univers conservateur de l’aéronautique. Dans un monde où le métro est autonome et où les constructeurs automobiles s’apprêtent à nous vendre des voitures sans volant, nombreux sont les curieux qui aimeraient connaître comment l’industrie aéronautique prépare sa révolution automatique. Si toutefois elle l’envisage déjà …
Futur proche ou fantasme des financiers ?
Qu’on se le dise : faire voler un avion de façon entièrement autonome est aujourd’hui à notre portée. Cela fait même plusieurs années que nous sommes technologiquement en mesure de l’accomplir. Même si sur le plan technique rien n’a évolué depuis, l’évolution sur les plans éthique et sociologique est notable. Voilà cinq ans, alors que la question du vol autonome se posait déjà, les arguments des spécialistes nous confortaient dans l’idée que les avions sans pilotes ne voleraient pas avant 20 ou 30 ans.
En 2017, la montagne idéologique à déplacer semble déjà s’éroder, comme en témoigne la publication récente d’un rapport sur les bienfaits de la suppression de nos chers pilotes. A l’origine d’un tel document, l’Union des Banques Suisses (UBS), spécialisée dans les études financières de grande ampleur. A la clé de l’étude en question, des économies de 35 milliards de dollars par an pour les compagnies aériennes si les pilotes venaient à disparaître des cockpits. Sur cette somme, quelques 31 milliards seraient dus à l’économie sur les salaires des navigants et 3 milliards à l’économie sur les coûts de formation et d’assurance. Et comme si la publication d’un tel rapport n’avait pas suscité de polémiques dans l’univers des pilotes, l’UBS s’est même amusée à calculer les économies en kérosène dues à l’optimisation des trajectoires automatisées : il s’agit du petit milliard de dollars restant dans l’addition.
Peut-on alors penser que ces chiffres ne sont que le reflet des fantasmes de financiers en quête de rentabilité ? C’est d’autant plus difficile à croire que cette année marque aussi le lancement pour Boeing d’une étude visant à trouver des solutions pour faire voler des avions de ligne sans pilotes. Un cap serait alors sur le point d’être franchi en 2017, marqué par la réunion des intérêts des financiers et de celui d’un avionneur aussi influent que Boeing pour des avions automatiques. Mais avant de présager la fin proche des vols avec pilotes, il paraît intéressant de s’intéresser à l’avis des principaux concernés : qu’en pensent les pilotes ?
Des pilotes réalistes
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certains pilotes commencent à se faire à l’idée des avions automatiques. Parmi eux, des navigants déjà expérimentés, pour qui la retraite n’est pas si loin. On peut concevoir qu’il leur est plus facile d’accepter la disparition de leur profession en sachant qu’ils auront déjà déposé l’uniforme d’ici là. « Cela ne fait aucun doute que les passagers finiront par accepter de voler à bord d’avions autonomes. La technologie nous le permettant déjà, il ne reste plus qu’à convaincre l’opinion que ce type de vols sera bénéfique pour la sécurité. Un cap sera assurément franchi au moment où les voitures automatiques seront acceptées dans notre société. L’automatisation de nos modes de transports est un cap qu’il faudra franchir, rien ne pourra l’empêcher. L’aviation commerciale devra y passer que nous le voulions ou non. », assure un pilote de ligne questionné sur le sujet. Du côté des plus jeunes pilotes, l’idée des avions automatiques fait moins sensation : pour eux comme pour tous ceux qui rêvent de piloter des avions de ligne, difficile de se préparer à un tel changement.
Les syndicats de pilotes n’ont pas réagi à la publication du rapport de l’UBS, sans doute estiment-ils qu’il est trop tôt pour manifester une quelconque opposition. Les passagers, quant à eux, constituent l’ultime rempart face à l’arrivée du vol automatique. En toute logique, on peut supposer que l’avion de ligne sera le dernier moyen de transport à s’automatiser. Même si le métro automatique s’est déjà démocratisé, attendons de voir des voitures et des TGV autonomes avant que le consensus ne se fasse autour des avions sans pilotes. Il est certain qu’une fois cet état de fait atteint, le passage aux vols automatisés se fera beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine.
Demain ou après demain ?
Dans une époque rythmée par la mutation de nos modes de pensées et la cadence des évolutions technologiques, les changements peuvent arriver bien plus vite que prévu. Il y a vingt ans, peu étaient ceux qui prédisaient à quel point le téléphone mobile et internet allaient transformer nos comportements. Peut-on alors voir les responsables de Boeing misant sur l’avion automatique d’ici 20 ans comme des visionnaires réalistes ? Rien ne permet de l’affirmer clairement aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que les défis techniques à relever pour certifier des avions autonomes demeurent considérables. Comment intégrer de tels appareils dans un ciel congestionné par des avions traditionnels ? Comment fiabiliser les systèmes d’urgence et la gestion des pannes ? Comment gérer la disparition du rapport humain entre les pilotes et l’équipage de la cabine ? Quel sera l’investissement à consentir pour mener à bien un programme de certification d’avion autonome ?
La révolution automatique du transport aérien se prépare certes, mais tout doucement. Les Icare peuvent être rassurés. Et cette fois, c’est Boeing qui nous conforte dans l’idée : l’avionneur estime qu’il faudra former au moins 617 000 nouveaux pilotes d’ici 2035 pour satisfaire à la demande du marché mondial en avion commerciaux … Il nous reste encore pas mal d’années avant de voyager à bord des robots du ciel.
Loïck Laroche-Joubert, à Cranfield pour AeroMorning