Sur le marché des avions de transport régional de moins de 200 places, des avionneurs d’envergure moyenne comme ATR, Bombardier ou Embraer s’affrontent. Depuis l’arrivée d’Airbus dans le capital du programme d’avion moyen-courrier de Bombardier CSérie, le rival américain Boeing n’a eu de cesse de tenter un rapprochement avec Embraer. Si les négociations en cours aboutissent à une entrée de Boeing dans le capital d’Embraer, la structure du marché des avions régionaux pourrait subir de profonds changements. Les projets d’avions concurrents portés par d’autres nations aéronautiques comme le Japon, la Chine ou la Russie n’ont pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour pouvoir contribuer à ces changements. ATR de son côté sait qu’il a atteint un stade où son catalogue, limité aux avions de 72 places, gagnerait à s’étendre jusqu’aux avions de 100 places. Mais puisque cela impliquerait un investissement risqué, les bénéfices pour cette entreprise déjà rentable ne semblent pas si garantis. Analyse de deux sujets de l’actualité récente pour tenter de comprendre comment le marché des avions régionaux pourrait muter pendant les années à venir.
ATR : des ambitions pour un turbopropulseur de 100 places
Le fabricant d’avions à hélices basé à Toulouse s’est fait une réputation dans le monde du transport aérien en mettant au point une gamme d’avions basée sur un modèle original développé dans les années 80. Les 1400 avions à turbopropulseurs produits par la marque volent depuis aux quatre coins de la planète et sont souvent privilégiés face aux avions à réacteurs en raison de leur sobriété et des économies qu’ils procurent. Avec un capital détenu à parts égales par Airbus et par le géant aéronautique italien Leonardo, ATR à longtemps souffert des divergences de vision de ces actionneurs quant au développement de nouveaux projets.
Pour rappel, l’avionneur franco-italien propose aujourd’hui deux appareils dans son catalogue : un bimoteur de 42 places, l’ATR 42-600 et son équivalent de 72 places, la version 72-600. Tous deux reposent sur une base commune, qui a fait ses preuves et qui a séduit par la simplicité et l’efficacité de sa formule. Côté concurrents, seul Bombardier propose un turbopropulseur comparable, le DHC-8 Q400. Développé dans les années 90, l’avion est plus rapide que les ATR mais est moins convaincant aux yeux des transporteurs, comme en témoignent les chiffres : seulement 30 Q400 ont été livrés en 2017, face à 78 unités pour les ATR. Les avions de capacité équivalente et équipés de réacteurs sont quant à eux encore plus rapides mais subissent les conséquences d’un prix du baril de pétrole qui ne cesse de croître depuis la fin des années 90 – la baisse observée depuis 2015 montre que les prix restent largement supérieurs à ceux de l’année 1999 – . Ainsi les Bombardier CRJ700 et Embraer ERJ 145 sortent des usines au rythme du compte-goutte. Quand une compagnie doit choisir entre voler un peu moins vite mais avec des coûts d’exploitation faibles ou voler plus vite mais avec une pénalité sur les coûts d’exploitation, il ne fait aucun doute que la première solution est privilégiée. Les avions à hélices ont le vent en poupe.
Partant de ce constat, voilà plusieurs années qu’ATR se pose la question d’une percée sur le marché des avions de 100 places. En proposant un appareil à turbopropulseurs capable d’emporter autant de passagers sur des lignes moyen-courriers, tout porte à croire que le succès de la formule ATR aurait son effet … Une partie de l’administration d’ATR ne semble pas de cet avis. L’actionnaire Leonardo a récemment affirmé qu’il n’investira pas dans le projet d’avions 100 places et ce, à cause de nouveaux investissements en faveur des programmes 42-600 et 72-600. Selon les propos du PDG de la compagnie, Alessandro Profumo, « il y a toujours un potentiel de croissance [pour les modèles actuels] et cela représente notre priorité actuelle ». La dernière commande pour 50 ATR 72 et 42 par la floridienne Silver Airways laisse présager un retour prometteur des avions franco-italiens sur le marché américain. Il n’y a donc pas de quoi prendre le risque de développer un nouvel avion. Après tout, pourquoi changer une équipe qui gagne ?
Embraer 190 E2 : avion à succès deuxième génération ?
Tandis que Bombardier engage lentement la montée en puissance de son modèle d’avion 160 places CSérie en s’associant avec Airbus, l’avionneur brésilien Embraer prépare la certification de la deuxième génération du modèle qui l’a propulsé dans le haut du classement des avionneurs régionaux. Dénommé E190 E2, l’appareil repose sur une version hautement améliorée de l’E190, développé au début des années 2000 pour répondre aux besoins des compagnies pour un avion capable de desservir des lignes moyen-courriers à faible fréquentation. L’E190 et sa version rallongée E195 ont été produites à plus de 700 unités depuis leur lancement commercial.
Les dix prochaines années verront assurément apparaître de nouveaux concurrents pour ces appareils, à l’image du Mitsubishi MRJ90 ou de l’Irkut MC-21. Embraer a donc eu la brillante idée de produire une version revue et corrigée de son modèle phare pour préparer la riposte. Ainsi, l’E190 E2 bénéficiera de tous les avantages qui ont fait le succès de son prédécesseur et incorporera en plus des nouveautés, comme une aile redessinée et une motorisation des plus récentes. Des choix de conception simples ont été fait, par exemple en bannissant l’usage de composite dans l’aile en faveur d’alliages métalliques récents. Ceux-ci peuvent se montrer tout aussi efficaces et surtout moins chers. L’essentiel pour Embraer reste aussi de conserver une certaine continuité entre l’E190 et l’E190 E2, notamment pour les compagnies qui se verront exploiter les deux modèles.
En lançant l’E190 E2, Embraer nous donnera l’opportunité de vérifier si le choix de l’amélioration de modèles existants est satisfaisant et gage de rentabilité. Une technique qu’Airbus et Boeing ont appliqué avec succès par le passé, avec l’exemple des A320NEO et 737MAX, dont les chiffres de ventes sont plus qu’encourageants. A défaut de lancer un nouvel appareil, ATR pourrait donc prendre ce chemin pour rester dans la course des avions régionaux. Pourquoi pas une version remotorisée des ATR 72 et 42 annoncée dans les prochains mois ?
Loïck Laroche-Joubert, à Cranfield pour AeroMorning