A en croire les prévisions de l’IATA, nous serons deux fois plus nombreux à voyager à bord d’avions commerciaux en 2039. Pour accompagner une telle croissance, toute la chaîne aéronautique sera mobilisée, de la production d’avions à la formation des pilotes. Avec l’augmentation du nombre d’avions en ligne, les acteurs de la MRO – Maintenance Repair and Overhaul – savent qu’un défi colossal les attend, surtout quand on sait que 52% des coûts opérationnels des compagnies sont affectés par la maintenance. Pour parer à cela, les ténors de la filière joueront la carte de l’innovation.
Quand la MRO fait rentrer l’aéronautique dans l’ère du big data
Lors du dernier salon de Farnborough en juillet 2018, Boeing avait créé la surprise en dévoilant pour la première fois ses prévisions pour le marché des services aéronautiques. Basées sur une projection à vingt ans, ces dernières étaient d’autant plus intrigantes qu’elles évoquaient un marché des services plus lucratif que celui de la vente d’avions. Airbus avait alors nuancé cela en soutenant le contraire : d’ici 2038, 5,8 trillions de dollars pourraient être générés par la production d’avions contre 4,6 trillions pour les prestations d’après-ventes.
Les raisons de ces différences de visions résident dans la définition des services aéronautiques prise en compte dans les deux études, Boeing considérant un panel d’activités plus large que la simple maintenance d’appareils. Qu’on accorde du crédit aux chiffres de Boeing ou à ceux Airbus, il n’empêche que la filière MRO fera l’objet de nombreuses convoitises, tant elle s’avère indissociable d’opérations aériennes rentables.
De l’avis des experts, l’augmentation du nombre d’appareils en service ne saurait être accompagnée d’une amélioration signification des techniques de maintenance. A l’évidence, l’ère du big data rend déjà cela possible, puisqu’elle a permis d’accroitre massivement les capacités en matière de maintenance prédictive. Via la collection et le traitement de données à bord des avions, cette composante de l’industrie MRO est à l’aube d’une formidable révolution.
Le cabinet d’études ICF International estime que 60% des avions opérationnels disposeront d’une capacité totale de collecte massive de données à l’horizon 2027, contre environ 30% aujourd’hui. Du côté des ténors de la MRO, on se prépare à accompagner les compagnies aériennes pour une utilisation efficace de la technologie, au service d’activités aériennes optimisées. Air France Industries – KLM E&M, Lufthansa Technik, Rolls Royce et même Airbus et Boeing ont d’ores-déjà développé leur propre marque pour la maintenance prédictive.
Forte convoitise sur le marché de la maintenance prédictive
Quelles sont donc les applications concrètes qui se cachent derrière la maintenance prédictive ? L’exploitation d’un avion selon les règles en vigueur est une affaire coûteuse pour les compagnies aériennes. La rigueur des programmes de maintenance et les marges de manœuvre financières limitées nécessitent de disposer d’appareils dont les temps au sol sont réduits au strict minimum. Les dysfonctionnements techniques qui empêchent cela sont la bête noire des transporteurs.
Au cours d’un vol, les innombrables systèmes d’un avion peuvent potentiellement échanger une quantité massive de données, relevant leur état de santé. Si l’exploitant prend le soin d’en faire usage pour améliorer ses programmes de maintenance, il s’agit alors de maintenance prédictive. La discipline n’est pas nouvelle – déjà mise en place sur des avions datant des années 90 – mais elle est rentrée dans une nouvelle ère avec l’évolution des moyens digitaux.
Tout l’enjeu de la maintenance prédictive en 2019 réside dans la capacité des compagnies aériennes à trier convenablement les données collectées à des fins d’améliorations des opérations. Ne pouvant être à la fois au four et au moulin, ces dernières sous-traitent donc ces services auprès des entreprises MRO. Chez Air France Industries – KLM E&M, les clients peuvent choisir Prognos, qui collecte et analyse les données de composants de l’avion comme le moteur ou l’APU.
Lufthansa Technik, le numéro un mondial de la MRO a aussi lancé sa plateforme de traitement et d’analyse de mégadonnées. Elle porte le nom d’Aviatar et équipe les avions des compagnies Lufthansa, Swiss ou Austrian Airlines depuis 2017. Côté fabricants, Airbus et Boeing ont lancé leur offensive dans la maintenance prédictive en 2017, lorsque leur marque respective Skywise et AnalytX ont vu le jour. Comme chez leurs concurrents, les experts de ces unités disposent d’outils évolués comme l’intelligence artificielle pour traiter les données et fournir aux clients les moyens de mieux anticiper leur maintenance.
La forte valeur ajoutée des nouvelles technologies ne préviendra pas l’apparition de risques
Malgré tout le potentiel offert par les nouvelles plateformes de traitement de données, le nombre de compagnies clientes reste encore limité. Lors du salon AeroIndia – du 20 au 24 février -, Airbus a convaincu GoAir et Sri Lanka Airlines d’utiliser Skywise, portant à plus de 30 son nombre d’utilisateurs. Boeing en compte de son côté déjà plusieurs centaines avec AnalytX.
Delta Airlines figure parmi les transporteurs qui disposent aujourd’hui d’un premier retour sur expérience quant aux bénéfices apportés par les nouveaux potentiels de la maintenance prédictive. Dans un rapport publié par Aviation Week MRO America, ses dirigeants assurent avoir évité 1000 cas d’anomalies divers sur les moteurs de leur flotte en une année. easyJet, qui a choisi Skywise pour sa flotte d’A320 en 2018 estime quant à elle avoir évité 31 pannes de systèmes depuis la première utilisation de la plateforme.
Si le suivi de l’état des avions par l’analyse de données pourrait permettre aux compagnies d’économiser jusqu’à trois milliards de dollars par an, d’autres innovations s’annoncent tout aussi prometteuses pour améliorer la maintenance des avions. La fabrication additive fait partie de celles-ci et profite des récents progrès de l’industrie des matériaux. Le procédé dispose d’un potentiel considérable car il permet de réparer des pièces endommagées plus rapidement qu’avec les techniques conventionnelles, via l’ajout instantané de matière.
En généralisant les nouvelles méthodes de réparation et les nouveaux outils digitaux pour le traitement des mégadonnées, l’industrie du MRO devra toutefois s’assurer de bien intégrer les risques qu’ils impliquent. La cybersécurité est à n’en pas douter l’un de ceux qui préoccupent le plus les utilisateurs. Comment protéger les données acquises à bord des avions ? Comment certifier leur exactitude dans l’ère de la menace digitale ? Autant de questions et de défis auxquels devront faire face les acteurs d’une filière dont la valeur du marché pourrait peser 118 milliards de dollars en 2027.
Le 21 mars 2019, l’Excellence Club Aerospace tiendra une conférence-débat sur le thème des innovations en MRO au B612 de Toulouse. Des experts présenteront et débattront sur les bénéfices que peuvent apporter les nouvelles technologies à la filière : maintenance prédictive, intelligence artificielle, réalité augmentée, cybersécurité, fabrication additive, usine 4.0 …
Loïck LAROCHE-JOUBERT