L’année 2024 a débuté pour le transport aérien par une catastrophe et un miracle. Tokyo Haneda, un Airbus A350 de Japan Airlines se pose de nuit et entre en collision avec un Dash-8 Q300 des Coast-Guards japonais. 5 Morts sur six occupants dans le petit turbopropulseur. Aucune victime sur les 379 occupants du gros Airbus qui a toutefois été entièrement détruit par le feu en quelques heures. Première analyse : soit les contrôleurs ont failli, soit les pilotes de l’un des avions ont failli. On a su peu après que le commandant de bord du Dash, seul rescapé, a mal interprété la consigne des contrôleurs : « JA722A Good evening N°1 taxi to holding point C5 ». Donc une autorisation pour rouler jusqu’au point d’arrêt C5. Pas de pénétrer, s’aligner, décoller. Bien sûr, puisque l’A350 de la JAL venait d’être autorisé en approche piste 34R, puis autorisé à l’atterrissage, piste 34R avec vent de 310/8 kts. Dans le cockpit du A350 on imagine l’équipage concentré sur son approche avec devant lui, 50 secondes avant le toucher, un brouhaha* de lumières d’aéroport et la piste bien éclairée et visible au milieu de tous ces feux. Ils ne remarquent pas le Dash, qui sans autorisation, par erreur, s’aligne vers le premier tiers de la piste. Ses feux (avait-il des strobe/flashings ?) se confondent avec le brouillard lumineux de l’aéroport. L’avion ne camoufle en fait que deux ou trois des lumières du balisage axial, ce qui se remarque peu.
Dans le Dash, le captain a semble-t-il fait une erreur de représentation. Sorti de l’avion, blessé, il dira qu’il avait été autorisé à s’aligner. De cette bretelle, il tournait le dos à l’axe d’approche et ne pouvait voir l’avion en finale. Il n’a semble-t-il pas « copié » non plus la clearance à l’atterrissage donnée au gros porteur. Ni son copilote, peut être, on ne sait pas, avant d’écouter les conversations de cockpit. Pas de raison de douter de sa bonne foi. Mais, ces erreurs sont chères !
De plus, les contrôleurs n’ont pas non plus perçu dans ce « brouhaha lumineux », les feux du Dash qui dépassait le point d’arrêt. De surcroît les Stop Bar, sorte de barrières lumineuses anti incursion ne fonctionnaient pas ce soir là. Comme indiqué sur le Notam publié. Donc, encore un facteur de sécurité de moins. On pourra toujours blâmer le pilote, d’avoir outrepassé l’autorisation accordée, les contrôleurs et les pilotes de l’Airbus de ne pas avoir discerné les lumières du Dash qui effectuait une grave incursion de piste. Mais cela ne règle et ne règlera rien. Oui, la vigilance et la discipline sont de mise. Mais l’erreur ou la confusion humaine ne peuvent être éradiquées à 100%.
Combien de catastrophes depuis les débuts du transport aérien : des dizaines. (81 cas sur aviation Safety répertoriés). Avec plus ou moins de victimes. Un tragique record, celui de Ténériffe en mars 1977 avec ses 583 morts. Deux B 747 entrent en collision, bourrés de passagers. Erreur dans la phraséologie, brouillard. C’est la pire catastrophe vécue dans l’histoire de l’aviation. On peut compter Milan, en 2011, un MD83 contre un petit Business Jet ; 118 morts. Madrid en 1983, un B727 contre un DC9 ; 93 morts. La dernière mortelle en France date de l’an 2000 à Charles de Gaulle, entre un MD83 d’Air Liberté au décollage et un Short britannique qui comme à Tokyo s’est avancé, mais là sur une confusion de position du contrôleur. Un des deux pilotes sera tué par l’aile du Douglas, qui a stoppé son décollage. N’oublions pas en 1982, Omsk, en Russie, avion contre chasse neige : 178 morts. Dans cette catégorie le Falcon 50 du patron historique de Total, Christophe de Margerie, également contre un chasse-neige, à Moscou Vnoukovo, en 2014. Lui et son équipage sont morts. Les agents au sol étaient alcoolisés ! Un mal russe connu ! Etc.
Bien sûr à chaque fois on peut incriminer l’un des acteurs. Ou plusieurs. Mais cela ne permet pas d’éradiquer ce risque qui est aujourd’hui considéré comme l’un des premiers, et qui met en péril les passagers ! Les dirigeants d’une grande compagnie européenne me disaient en décembre dernier que l’incursion de piste figure en tête des dangers et des menaces qui pèsent sur la sécurité. Il n’est pas le seul. Personne ne prend cela à la légère.
Chaque jour il y a dans le monde une ou plusieurs incursions de piste. Petits ou grands aérodromes, petits ou gros avions, (ou petit contre gros comme à Bordeaux fin 2022). Cela fait des centaines par an. Généralement sans conséquences. Mais la recherche d’une aviation sûre ne permet plus de tolérer ces risques latents. Lire les nombreux rapports, compte rendus et analyses de ces « évènements » sur les sites des divers Bureaux d’Enquêtes et d’Analyses de sécurité : BEA en France, mais EASA pour l’Europe, l’OACI pour le monde entier, le NTSB aux USA, etc. Sans oublier les rapports et études effectués dans les compagnies, et par les services du contrôle aérien. C’est instructif et angoissant. Je ne peux pas les ajouter en lien car ceux des compagnies sont « internes » soit « confidentiels ». Parfois aussi ceux du contrôle. Mais avec tout ce qui est accessible il y a de quoi se convaincre de la gravité des choses. Le mal persiste. Des centaines de fois par an. Un jour ça fait « bing » comme à Tokyo ! Et parfois encore pire.
Des marquages au sol, et des panneaux existent. Ils sont très utiles et très efficaces. Particulièrement en plein jour ou par beau temps la nuit. Mais ce sont plus des aides que des barrières, même si bien des interdictions ou indications sont ainsi notifiées.
Des radars sol on été installés ça et là. Depuis longtemps. Utiles, pas toujours en fonctionnement. Insuffisants. Doublés de réseaux lumineux, commandés soit pas les contrôleurs soit par des automates. Alertes sur les écrans des radars des aiguilleurs du ciel, sur les écrans des pilotes. Sources des radars, des « ADS-B » des transpondeurs, des TCAS des avions. On a développé de nombreux outils, en plus des procédures. Procédures orales, bien codifiées. Phraséologie précise. Règles rigoureuses pour rouler au sol pour les véhicules de piste et les équipages, et rigoureuses pour les contrôleurs qui doivent accepter des traversées de pistes sur certains aérodromes. Dangers de l’alignement à partir de bretelles d’accès pour fluidifier le trafic. (Cas de Tokyo ou de CDG en 2000). Au demeurant depuis l’accident de l’an 2000 à Charles de Gaulle, les contrôleurs (précision d’un ami ICNA) n’utilisent plus, pour les traversées de piste les bretelles d’accès qui ne sont pas sécantes à 90°. Ni les bretelles très inclinées, pour les alignements. Les bretelles les plus inclinées servent pour les avions à dégager plus facilement. Uniquement. Donc le véhicule qui s’avance, par temps clair évidemment, peut voir un appareil en approche ou au décollage avant de s’engager.
Pour résumer, il existe nombre de méthodes et dispositifs pour empêcher les incursions et leurs conséquences :
RWSL : système lumineux, indépendant des ATC, basé sur les radars sol, sur des balises de détections de passage des mobiles, et les transpondeurs radars des mobiles. Des lignes rouges s’allument interdisant soit le décollage, soit la poursuite du roulage, et bien sur la pénétration de piste. (RELs Runway Entrance Lights) et pour le décollage, THLs (Take-off Hold Lights).
STOP BAR (HS à Tokyo le jour de l’accident) lumineuses, elles sont une forme bien moins élaborée de protection des pistes d’atterrissage et décollage que le RWSL.
RIMCAS : Dispositif à la disposition des contrôleurs (Runway Incursion Management and Collision Avoidance System). Cet outil, qui utilise les informations du système AVISO, (système de numérisation des données analogiques du radar sol) vise à alerter le contrôleur d’un risque de collision entre deux avions ou un avion et un véhicule sur les pistes et dans les servitudes.
TCAS : Installé sur tous les avions affectés au transport public de passagers, avec des qualités et propositions variables. Le TCAS peut montrer voir signaler une occurrence de rapprochement. Mais sur les aérodromes, pour éviter les alertes multiples dans les zones à forte densité d’avions, les alarmes sonores sont inhibées.
ADS-B / SSR : Les constructeurs espèrent beaucoup de résultats plus efficaces des mobiles ou dispositifs utilisant les données des avions ou véhicules équipés de l’ADS-B, (qui s’ajoute au transpondeur radar) et apporte une grande précision d’informations dont l’analyse peut générer des alertes plus performantes que les diapositifs actuels.
Toujours est-il que l’œil du contrôleur, l’œil du pilote, ou du chauffeur au sol demeure un outil majeur et essentiel. Et son oreille ! Bien écouter les trafics des autres ! De même est essentiel le respect d’une phraséologie précise, rigoureuse, si nécessaire « appuyée de répétitions » (et attendez, Hold On…), et cela dans un contexte à venir moins chargé ou stressé sur les ondes radio VHF encombrées des aéroports.
Michel Polacco
*Sur un aéroport important comme Roissy Charles de Gaulle, on compte à ce jour 27000 balises lumineuses éclairées la nuit ! Dont 1500 exclusivement consacrées aux situations de très mauvais temps.
Liens :
-Note de sécurité « Incursions de pistes » du BEA français, (N°8 de 2007) avec plusieurs exemples : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/ita_008.pdf
-Sur les petits aérodromes aussi :
https://bea.aero/fileadmin/documents/docspa/2007/f-qe070326/pdf/f-qe070326_05.pdf
-RWSL: https://www.dailymotion.com/video/x5paonu
-Alerte RIMCAS : https://bea.aero/les-enquetes/evenements-notifies/detail/alarme-rimcas-incursion-sur-piste/
Le chronique de Michel Polacco pour AeroMorning
14 janvier 2024