Tenu chaque année au bord du lac de Constance, le salon AeroFriedrichshafen est le rendez-vous incontournable des acteurs européens de l’Aviation Générale. Cette année encore, AeroMorning s’est rendu sur place et n’a pu que constater l’engouement grandissant pour l’aviation électrique. Si lors des années précédentes, la plupart des avions électriques présentés étaient des appareils légers, l’édition 2018 a sans aucun doute marqué l’apparition de projets plus ambitieux. De l’E-fan X d’Airbus et Siemens aux plans de la Norvège pour le développement d’une aviation de transport régionale électrique, ces projets dressent un état des lieux de nos connaissances en matière de propulsion électrique. En allant à la rencontre de divers exposants, nous avons souhaité mesurer le potentiel dont dispose ce mode de propulsion pour rendre demain le transport aérien plus vert.
Airbus et Siemens en marche pour une aviation commerciale hybride
A l’entrée du hangar dédié à l’aviation électrique, le stand du géant mondial de l’électrique Siemens donne immédiatement une idée de l’intérêt que l’entreprise porte à l’aéronautique. Alors qu’une équipe d’une dizaine de représentants s’affaire au pied des trois avions légers propulsés par des moteurs de la marque, les passants peuvent admirer des composants du véhicule de transport urbain CityAirbus, que Siemens développe en collaboration avec l’avionneur européen. Une collaboration qui ne se limite d’ailleurs pas à ce projet, car les deux entreprises affichent fièrement leur partenariat pour le développement du démonstrateur d’avion de ligne hybride E-fan X.
Annoncé à la fin de l’année 2017, cet ambitieux projet illustre les convictions d’Airbus dans le domaine de la propulsion électrique et prendra la forme d’un démonstrateur doté d’un moteur électrique et de réacteurs conventionnels. Siemens, dont l’expérience en électrotechnique n’est plus à démontrer, voit cet avion comme un excellent moyen d’aborder la problématique de l’intégration de systèmes électriques à bord des avions de ligne. Les membres de l’entreprise ne cachent toutefois pas que les défis à relever seront nombreux : « jusqu’à aujourd’hui, nous sommes parvenus à équiper des avions légers, mais avec l’E-fan X, c’est une nouvelle échelle qui nous attend. Pour alimenter le moteur de 2 MW qui équipera l’avion, nous devrons soumettre les circuits à une tension de 3 kV, ce qui à ce jour n’a jamais été réalisé à bord d’un avion » nous confie Olaf OTTO, directeur commercial en charge de l’E-fan X.
Quand on pense que les avions électriques actuels propulsés par Siemens n’excèdent pas les 260 kW de puissance, on peut se questionner sur la capacité de l’entreprise à mener la mission de l’E-fan X dans les temps. Pour apporter une réponse à cela, deux atouts sont évoqués par les équipes techniques : premièrement, la collaboration avec Airbus n’est pas nouvelle et s’est déjà concrétisée par des projets communs dans le passé. Des bureaux conjoints devraient voir le jour dans un futur proche. Ensuite, Siemens insiste sur le fait qu’elle dispose aujourd’hui d’un outil industriel digitalisé qui commence à arriver à maturité. En digitalisant les moyens de conception, les interfaces entre les divers bureaux d’études sont décomplexifiées et les délais de développement réduits.
Même si l’E-fan X ne sera qu’un banc d’essai, Airbus et Siemens attendent beaucoup des résultats obtenus : « notre expérience en matière de vol électrique sera renforcée car nous projetons de réaliser des vols d’essais dans conditions environnementales et opérationnelles réalistes. Après un premier vol en 2020 et une campagne de tests techniques, nous serons en mesure de déterminer les voies qu’il faudra investiguer pour préparer un premier vol commercial d’avion hybride d’ici 2030. Car nous avons la ferme conviction que l’avenir du transport commercial est électrique » affirme enfin Olaf OTTO.
Les visions avant-gardistes du gouvernement norvégien
Siemens et Airbus nous montrent ainsi que la vision du transport commercial électrique est partagée par les industriels. Qu’en est-il du côté des institutions publiques ? Une délégation venue de Norvège a fait le déplacement au salon AeroFriedrichshafen pour exposer les ambitions de leur gouvernement en matière d’aviation verte. Dans un pays où près de 40% du parc automobile est électrique et presque la totalité de l’électricité nationale est produite durablement, il n’est pas surprenant d’apprendre que les dirigeants projettent de développer une aviation de transport régional entièrement électrique pour la décennie 2030.
Pour concrétiser cela, ces derniers s’appuient sur un plan de développement ambitieux, qui vise à attirer les investissements sur le long terme. Avec 46 aéroports régionaux et un réseau aérien privilégié face au réseau routier dans la plupart des déplacements domestiques, les projets d’avions régionaux électriques peuvent voir la Norvège comme le marché de départ idéal. L’entreprise Zunum Aero, qui développe un appareil électrique pour transporter 12 passagers sur 1200 km, fait partie des sociétés qui travaillent d’ores-et-déjà avec les autorités norvégiennes pour anticiper le développement d’une aviation de transport électrique. Le premier vol de l’avion Zunum est prévu pour 2022 et selon les ingénieurs de l’entreprise, la capacité des batteries évolue selon une tendance qui rend cet objectif réaliste. Une collaboration avec les institutions norvégiennes devrait s’en suivre pour les essais, jusqu’à ce qu’une capacité opérationnelle soit atteinte.
Des problématiques techniques importantes devront par ailleurs être étudiées par la Norvège pour rendre l’opération de transporteurs régionaux électriques possible. Il sera par exemple nécessaire de développer des installations aéroportuaires aptes à accueillir des avions électriques, avec des points de rechargement électriques à hautes tensions. Pour cela, la construction d’installations d’essais est planifiée. La compagnie régionale norvégienne Widerøe, qui opère aujourd’hui une flotte de 41 appareils, entend être le partenaire numéro pour les essais aéroportuaires qui seront conduits et annonce vouloir exploiter une flotte entièrement composée d’avions électriques d’ici dix ans.
La Norvège, avec ses ambitions, témoigne donc de la capacité d’un gouvernement à catalyser un intérêt auprès des industriels et des opérateurs aériens pour l’aviation électrique. Si des volontés gouvernementales communes à l’échelle européenne émergeaient, l’accession à une aviation plus verte pourrait être grandement facilitée et accélérée. La détermination industrielle suivrait sans nul doute et la technologie, aujourd’hui déjà maîtrisée, s’en verrait améliorée.
Eviation : un transporteur léger électrique
Présent pour la première fois sur le salon AeroFriedrichshafen, l’entreprise Eviation a présenté son concept de transporteur électrique tout carbone de neuf places. Le développement de l’appareil a commencé en 2015, à une époque où les projets d’aéronefs électriques légers faisaient tout juste leur apparition au salon. Cela donne une idée du chemin parcouru par l’industrie pour le développement de ce nouveau type de propulsion à bord des avions.
Si la route entre la mise au point d’un concept et le lancement commercial d’un avion est longue, les ingénieurs d’Eviation veulent croire en l’attractivité de la formule qu’ils développent, prévue pour réduire les coûts d’exploitation de moitié. Avec ses actuelles 3.6 tonnes de batteries, l’avion d’Eviation devrait avoir une autonomie limitée mais compte sur un taux de croissance moyen des capacités batteries de 10% par an. Le premier vol est prévu pour 2019 et une première commande de 10 unités lancée par la compagnie Cape Air devra être honorée une fois l’avion certifié.
En 2018, le salon AeroFriedrichshafen a donc témoigné de l’engouement des industriels et de quelques institutions gouvernementales pour une aviation commerciale électrique. Il n’est pas irraisonnable d’estimer qu’au vu des avancées actuelles sur les plans technique, industriel et politique, une aviation de transport hybride pourrait voir le jour à l’aube de la décennie 2030. Bien entendu, nous suivrons les prochaines éditions du salon pour mesurer l’avancement de cet objectif et vous livrerons notre analyse. Affaire à suivre donc …
Loïck Laroche-Joubert, à Friedrichshafen pour AeroMorning