L’omniprésent principe de précaution va-t-il conduire à interdire toute prise de risque ? Le seul fait de poser la question est inquiétant.
Le thème de réflexion est délicat, important, envahissant, notamment dans le monde de l’aviation mais aussi dans d’autres disciplines : faut-il interdire la prise de risque ? A première vue curieux, voire incongru, le débat ne cesse de croître et embellir, en France tout au moins, le sacro-saint principe de précaution étant inscrit dans la constitution. Ce qui s’avère bien encombrant, pire un frein à l’innovation.
Relancé par un colloque multidisciplinaire organisé à Toulouse par l’Académie de l’air et de l’espace, il rebondit et risque fort de faire de sérieux dommages collatéraux. Ainsi, Xavier Guilhou, historien et géographe, qui fait preuve d’esprit de synthèse, affirme que «nous sommes dans des sociétés de la peur, qui n’aiment pas le risque». Mais comment progresser malgré cette contrainte ? Nous voici, en effet, confrontés à nos croyances, à nos utopies, face au besoin de réévaluer nos échelles de risques.
A première vue, c’est un débat philosophique, ce qui n’est que partiellement vrai. Avec Claude Terrazzoni, président de la CCI de Toulouse, pilote, ancien cadre dirigeant d’Aerospatiale et Airbus, qui dit haut et clair que le risque zéro n’existe (évidemment) pas, nous constatons que nous faisons tous des erreurs, la précaution pouvant tout simplement nous mener à l’inaction. Il bénéficie d’un appui de taille, celui de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel : «si on ne prend pas de risques, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue». Ni plus ni moins. Le général Richard Wolsztynski avance, lui, la notion de «risque nécessaire».
On l’a compris, ces idées, sitôt replacées dans le contexte aéronautique, posent des problèmes inextricables, constat que partagent les hommes de loi, bien sûr, mais aussi le monde de la médecine, par exemple. Ainsi, le Dr Daniel Loisance, de l’Académie nationale de médecine, souligne que tout système complexe produit les conditions de l’erreur. Puis il s’inquiète de la judiciarisation des relations avec les malades, devenus des consommateurs qui ont «droit» à la santé.
Sans prise de risque, on ne progresse plus, le danger d’enlisement grandit. Mais les victimes, d’où qu’elles viennent, réclament des comptes et des coupables. De toute évidence, il est souhaitable de mettre ces questions sur la table avant qu’il ne soit trop tard, avant de finir de graver dans le marbre une forme sournoise d’immobilisme.
Claude Frantzen, fort d’une double expérience, aviation civile et nucléaire, voit là, avec raison, toute l’ambiguité de notre société. Bernard Ziegler, ancien pilote d’essais qui fut le charismatique directeur général technique d’Airbus, recadre la question, en formule autrement le sens pervers : «on dit qu’il n’est plus possible de prendre des risques en oubliant qu’il ne s’agit là que de risques prévisibles». Et d’ajouter qu’il faut avoir pris des risques pour ensuite en prendre le moins possible, sachant que nul n’est protégé de l’imprévisible.
A première vue, tout cela semble relever du simple bon sens. Mais ce dernier …risque de disparaître, lui aussi, noyé dans un océan de précautions. On peut néanmoins se consoler en constatant que le monde de l’aviation est encore capable de réfléchir et, le cas échéant, de hausser le ton dans l’espoir de faire entendre sa voix. Un salutaire rappel à l’ordre.
Pierre Sparaco – AeroMorning (à Toulouse)
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