En 2016, la France était pour la 26e année consécutive la première destination touristique mondiale. Très visité, le pays reste aussi un bon émetteur de touristes. Malgré cet excellent marché de l’aérien, les compagnies aériennes françaises se trouvent aujourd’hui dans une situation critique et peinent à regagner leur position de leader sur leur propre territoire. La Fédération Nationale de l’Aviation Marchande (FNAM) a tenu début avril une conférence visant à dresser un état des lieux de l’environnement du secteur aérien civil français actuel et à tirer une sonnette d’alarme. Revenons sur l’essentiel des points abordés par la fédération.
Un boulet administratif et financier
Lorsque vous achetez un billet chez une compagnie française pour un vol domestique, la moitié de ce que vous payez sert à acquitter l’ensemble des taxes. Si la tentation d’acheter ce même billet moins cher chez une compagnie basée à l’étranger est grande, il faut garder à l’esprit que la différence de coûts provient souvent d’une situation déloyale. Les compagnies aériennes françaises doivent payer plus de 20 taxes différentes sur l’ensemble de leur activité. Chaque année, celles-ci représentent un cumul de 4,6 milliards d’euros. Une lourde charge pour des transporteurs qui doivent affronter des concurrents qui ne sont pas logés à la même enseigne. Car ces derniers règlent leurs charges sociales dans des pays où les taxes et les charges salariales sont beaucoup moins élevées qu’en France. L’absence totale d’harmonisation fiscale en Europe fragilise les transporteurs français.
En plus d’avoir augmenté les charges aéronautiques de 123% en quinze ans, les autorités du transport aérien français imposent que les coûts de sureté aéroportuaires soient financés entièrement par les compagnies. Cela créé un véritable déséquilibre entre les opérateurs français et leurs concurrents européens, dont les états financent en majorité ces frais de sûreté.
Aux contraintes fiscales s’ajoutent des contraintes règlementaires. Le transport aérien mondial est régi dans ses grandes lignes par les conventions de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI). L’Union Européenne complète ces conventions en matière de sûreté et de droit des consommateurs en imposant sa règlementation. Chaque état est ensuite libre de réinterpréter les lois européennes à son échelle, chose pour laquelle la France est un spécialiste hors-norme. A tel point qu’aujourd’hui les transporteurs français se retrouvent confrontés à un véritable empilement de règles qui se confondent et qui les pénalisent. Encore une fois, les compagnies rivales basées en Europe sont avantagées car elles sont moins contraintes par l’interprétation des lois communes par leur état d’origine. Le système administratif français affiche dans le transport aérien la splendeur de ses plus grandes aberrations !
Les conséquences d’une perte de compétitivité pour les entreprises françaises
Le transport aérien subit donc en France les problématiques d’un contexte déloyal. D’après les estimations de la FNAM, celles-ci pourraient se chiffrer par un déficit de compétitivité équivalent à près de 1,6 milliards d’euros par an. La moitié serait due aux pertes liées à l’inefficacité du système règlementaire et l’autre moitié serait due à la surcharge fiscale par rapport aux autres états européens.
Mais le plus inquiétant reste l’évolution de la position des entreprises françaises sur le marché : alors que la demande et le nombre de sièges offerts sur le marché touchant la France a augmenté depuis 2000, les parts de marché des transporteurs basés dans le pays y a diminué de 17%. De nouveaux concurrents sont arrivés depuis et ont imposé leurs règles du jeu : les compagnies à bas-coûts européennes profitent des failles du système administratif français et usent d’une technique agressive appelée dumping social. Les compagnies du Golfe bénéficient quant à elles d’une avance considérable en matière de financement car elles portent les volontés de conquête de leur état, qui se permettent toutes les folies budgétaires.
Cette baisse des parts de marché a une incidence pour l’économie de notre pays et plus particulièrement pour notre marché du travail. A titre d’exemple, la FNAM affirme que lorsqu’un avion de type Airbus A330 (environ 350 passagers) d’une compagnie étrangère opère une ligne au départ d’un aéroport en France, ce sont en moyenne 25 employés qui sont affectés. Si la compagnie est française, ce sont 125 employés … La perte de compétitivité de nos compagnies a causé la perte de 11 000 emplois ces cinq dernières années et si rien n’est fait, ce pourraient être 16 000 emplois perdus de plus d’ici cinq ans. Et cela représente tout de même 15% des emplois du secteur.
Il faut agir, vite !
Si la FNAM souhaite avertir sur l’urgence de la situation, elle profite surtout du contexte d’élection présidentielle pour poser les bases des travaux qui seront menés avec la prochaine équipe dirigeante de notre pays. Le rapport intitulé « Le ciel français, défis et action 2022 » qu’a émis la fédération début 2017 vise, en plus de dresser un état des lieux, à proposer un véritable plan d’action à destination du futur gouvernement. Car selon Alain BATISTI, le président de la FNAM, c’est une vraie politique nationale pour le transport aérien qui manque aujourd’hui : « nous avons besoin d’un engagement de l’état sur les cinq prochaines années pour que la situation évolue positivement ».
Le plan d’action étudié par la FNAM repose sur un ensemble de 67 propositions concrètes pour la plupart à fort impact positif sur la compétitivité et à coût nul pour l’Etat. Parmi elles, on retiendra celles concernant l’évolution des règles salariales. Pour assurer la sauvegarde d’emplois en France, il paraît approprié de proposer au futur gouvernement que les charges sociales touchant le personnel naviguant baissent d’au moins 50%.
Enfin, selon les propos de la fédération, le plus important des réformes à conduire réside dans l’harmonisation des règles européennes. « Les règles doivent être les mêmes en France que dans les autres pays d’Europe. Arrêtons le millefeuille règlementaire français qui fragilise nos entreprises ! » déclare Alain BATISTI. Pour mettre toutes ces réformes en œuvre, l’Etat doit créer une instance de gouvernement stratégique et opérationnelle de l’Aviation Civile. Celle-ci, en collaboration avec les opérateurs, devra élaborer et faire vivre une politique pour le secteur.
En mai prochain, un nouveau gouvernement sera mis en place. Les acteurs de la FNAM, bien qu’ils aient déjà essayé de rentrer en contact avec l’ensemble des candidats, pourront commencer à travailler avec les futurs dirigeants. L’un des premiers engagements à négocier sera de taille pour la fédération : demander à l’Etat de maintenir le montant global des charges aéronautiques dans son volume actuel pour les cinq prochaines années. Lors du précédent quinquennat, l’équipe de François Hollande s’était montrée favorable aux propositions de la FNAM et avait entrepris des démarches pour les concrétiser, avant d’abandonner en cours de route. Espérons que le prochain résident de l’Elysée montre davantage d’enthousiasme et amorce le sauvetage de notre Aviation marchande !
Loic Laroche Joubert pour AeroMorning