Un duopole historique
Lorsque Boeing rachète McDonnell Douglas en 1997, c’est une page de l’histoire aéronautique qui se tourne. Après avoir vu tomber successivement tous ses concurrents américains, l’avionneur se retrouve pour la première fois seul face à son adversaire européen Airbus. Vingt années plus tard, le marché des avions commerciaux gravite toujours autour du duopole formé par les deux rivaux à cette époque. Heureusement, des avionneurs de moindre envergure ont émergé entre temps, à l’image de Bombardier et Embraer. Mais ils restent encore bien loin des meneurs du marché.
En 2017, Airbus et Boeing estiment que le nombre d’avions de lignes à réaction en activité devrait doubler d’ici 2035. Pour accomplir cela, il faudra produire 39 000 nouveaux avions dont 28 000 avions monocouloirs. Une aubaine pour les petits avionneurs actuels et futurs. Alors comment ces derniers se partageront le gâteau d’ici 2035 ?
Chacun sa part
Un duopole, ce sont deux entreprises rivales qui se partagent jalousement un même marché, ne laissant aucune place à de quelconques potentiels concurrents : c’est ainsi qu’Airbus et Boeing opèrent aujourd’hui sur le lucratif mais très exigeant marché des avions moyens et longs courriers. Le marché des courts courriers, ou celui des avions monocouloirs, fait quant à lui l’objet d’une concurrence avec d’autres avionneurs qui, par leurs ambitions et leur expérience, semblent préparer l’affaiblissement du duopole.
Alors qui sont ces avionneurs audacieux ? Deux sont actuellement reconnus : le québécois Bombardier et le brésilien Embraer. Ce sont aussi des élites du marché de l’aviation d’affaire qui proposent dans leur catalogue des avions de ligne monocouloirs avec des capacités comprises entre 45 et 160 passagers. Leur expérience et leur savoir-faire n’est plus à démontrer, comme en témoigne la longue liste de compagnies qui leur sont fidèles. Le dernier modèle commercialisé par Bombardier est le CS300. Il est conçu pour 160 passagers et affiche clairement les ambitions de l’avionneur Québécois : s’introduire sur le marché des monocouloirs de 150-200 passagers prisé par Airbus et Boeing pour menacer le duopole tant convoité.
Et les menaces risquent de se multiplier car les besoins du marché à venir en termes d’avions monocouloirs ont suscité la convoitise d’autres industriels dans le monde : les russes ont déjà pris de l’avance avec Sukhoi, qui fait voler depuis 2008 son SSJ 100, un bimoteur conçu pour emporter jusqu’à 108 passagers et dont plus de 100 unités ont déjà été livré. Irkut, une holding qui produit notamment des avions Sukhoi, a dévoilé en 2016 son nouveau moyen-courrier haute capacité, prévu pour faire voler jusqu’à 211 passagers. Une « menace » évidente pour l’Airbus A320 et le Boeing 737 en matière de configuration, car il possède une cabine plus spacieuse et prétend pouvoir embarquer une charge marchande supérieure à celle de ses compétiteurs. Pour le moment, l’avion n’a toutefois généré que peu d’intérêt au-delà des frontières russes. Côté japonais, c’est Mitsubishi et son MRJ qui participe à la course. L’avion est décliné en deux versions (78 et 92 passagers) et sa commercialisation est prévue pour 2020.
Ainsi, brésiliens, canadiens, japonais, russes et pour être complet, chinois, seront introduits sur le marché des avions de ligne à réaction en 2020 : la compétition sera rude et même si les nouveaux venus reposent pour le moment essentiellement sur des commandes domestiques, il est fort à parier que les règles du jeu changeront pour Airbus et Boeing. Dans ce futur contexte concurrentiel, chacun aura donc sa part du gâteau …
Sur le marché des monocouloirs 150-200 passagers, Irkut va commercialiser le MC-21 qui concurrencera directement les A320 et 737. Les ventes peinent toutefois à décoller en dehors des frontières russes …
Un gâteau inégalement partagé
Nous savons maintenant que les aéroports des vingt prochaines années n’accueilleront pas que des Airbus ou des Boeing. La diversité des avions qui composeront les flottes des compagnies d’ici là dépendra simplement des parts de marché que prendront les petits avionneurs décrits plus haut. Pour avoir une idée des proportions futures de celles-ci, jetons un coup d’œil au chiffres actuels. En 2016, Airbus a livré 688 avions et son carnet de commande s’élevait à 6 874 appareils au 31 décembre 2016. Le géant de Seattle a quant à lui livré 748 avions en 2016 et disposait d’un carnet de commande riche de 5 715 appareils à la même date. Financièrement, ces deux carnets de commandes représentent l’équivalent du PIB 2015 de l’Inde. Des situations plus que confortables… Bombardier et Embraer réunis ont livré 194 avions de ligne monocouloirs en 2016 et doivent satisfaire un carnet de commande de 936 avions commerciaux. Cela donne une meilleure idée des proportions … Notons que ces deux derniers avionneurs sont entrés sur le marché des avions de ligne il y a moins de 20 ans, ce qui explique de tels écarts. Pour les nouveaux avionneurs, il est facile d’imaginer que leurs parts de marché resteront limitées dans les deux prochaines décennies.
Que ces nouveaux avionneurs soient russes, chinois ou japonais, il leur sera difficile de se faire une place sur le marché des avions commerciaux. Et pour cause, commercialiser un avion de ligne est tout sauf une simple question de moyens. Par exemple, la conception et l’alignement avec les exigences réglementaires constituent un premier passage semé d’embûches car il faut prouver aux autorités du monde entier que l’avion conçu pourra évoluer dans des conditions optimales de sécurité. Une fois cette étape accomplie, commence le vrai défi industriel qui consiste à mettre en place une chaine de production optimisée, sûre et rentable. Il faut alors imaginer un vaste réseau de sous-traitants et de fournisseurs (souvent à l’étranger) tout en s’entourant de partenaires techniques. La commercialisation de l’avion ne peut être initiée que lorsque la confiance des compagnies est en mesure d’être acquise, ce qui n’est pas des moindres défis : rares sont les compagnies qui aiment faire confiance à un nouvel avionneur. Et si toutefois l’avion parvient à être vendu, certifié puis livré, il faut en assurer le complexe et coûteux service après-vente en mettant en place des centres agréés à l’international. Il faut pour finir veiller à ce que l’appareil mûrisse bien. Dans le domaine de l’aviation commerciale où la sécurité est aussi prépondérante, il est souvent question de réputation. Un avionneur doit prouver avant de plaire. Et cela prend des années.
Les chiffres actuels et les particularités du marché de l’aviation commerciale permettent finalement d’imaginer la composition et la répartition des commandes du marché de demain. Airbus et Boeing resteront les meilleurs en termes de vente mais verront leurs parts de marché diminuer sur le segment des monocouloirs. Bombardier et Embraer devraient grignoter des parts sur ce même segment et prendre considérablement de l’ampleur. Les autres avionneurs, bien que proposant des avions prometteurs, resteront à la traine, mis à part les chinois dont les ventes, uniquement à destination du marché intérieur, vont exploser. Si tout cela se concrétise, on devrait donc voir disparaître le duopole au sens strict dont Airbus et Boeing sont les acteurs.
Alors chacun aura sa part du gâteau, certes, mais avec des tailles bien différentes. Une nouvelle page de l’histoire de l’aviation commerciale pourrait bien se tourner.
Bombardier, avec notamment son CS300, se positionne en tant qu’élite parmi les nouveaux concurrents d’Airbus et Boeing.
Loïck Laroche-Joubert à Paris pour AeroMorning