Autrefois parmi les plus influentes du monde, l’industrie aérospatiale russe est devenue particulièrement discrète depuis la chute du bloc communiste. L’étendu du marché formé par l’URSS et ses alliés suffisait à rendre l’activité viable et favorable au développement de concepts innovants. La disparition de l’unité soviétique a entrainé les plus grands avionneurs russes dans une chute infernale. Alors qu’aujourd’hui des fabricants d’avions militaires comme Sukhoi et MiG profitent encore de l’influence du gouvernement de Poutine sur la scène internationale, leur équivalents civils peuvent-ils assurer la renaissance d’une aviation russe sur le marché des avions commerciaux ?
Les rescapés
Tupolev, Illiouchine ou encore Antonov, voilà bien longtemps que ces grands noms de l’aviation soviétique ne font plus écho dans les esprits du grand public. Parfois injustement qualifiés de spécialistes de la copie de concepts occidentaux, d’autres fois considérés comme des fabricants d’avions obsolètes, ces avionneurs ont pourtant été à l’origine de bien des prouesses. Même si pour la plupart les heures de gloires font partie du passé, la lueur de l’espoir d’une reprise subsiste pour certains, sur un marché ébloui par la lumière du duopole Airbus-Boeing.
Celle qui incarne cette nouvelle espérance porte le nom d’United Aircraft Corporation (UAC). Fondée en 2006, cette société a pour objectif de réunir et de préserver les atouts de l’aviation russe en matière de production industrielle. Elle abrite sous son aile les fabricants Irkut, Sukhoi, Tupolev et Illiouchine ainsi que d’autres entreprises impliquées dans la fabrication aéronautique, tant militaire que civile. Avec comme actionnaire majoritaire une agence publique russe (91.7%), l’UAC propose un catalogue d’avions civils aux coûts d’acquisition compétitifs allant du Sukhoi de 100 places au quadriréacteur Illiouchine de 300 places. Malgré les efforts consentis pour vendre ces avions sur le marché international, seuls deux d’entre eux présentent en 2017 un potentiel d’exportation intéressant : le Sukhoi Superjet SSJ100 et l’Irkut MC21.
Une offre cohérente ?
En 2008, Sukhoi fait voler pour la première fois son Superjet SSJ100, un biréacteur de 100 places destiné au marché des avions régionaux. En faisant principalement appel à des technologies éprouvées et économiques, l’avionneur signifiait alors son intention de séduire les transporteurs à la recherche d’un avion au coût d’acquisition relativement faible. Aujourd’hui, seuls quelques 135 SSJ100 ont été produits et le niveau des commandes – inexistantes lors des deux précédents salons du Bourget – semble présager la fin de la carrière commerciale du biréacteur.
Mais l’UAC, du haut de ses 6.15 milliards d’euros de revenus par an, a plus d’une corde à son arc. En 2006, elle valide le lancement d’un avion de 200 places par son fabricant Irkut et menace directement les moyen-courriers d’Airbus et Boeing. Onze ans plus tard, le premier vol de l’Irkut MC-21 confirme la tenue de l’objectif et rappelle que l’aviation russe est bien capable de concevoir des avions commerciaux.
Alors, quels sont les atouts du MC-21 ? Malgré des cadences de productions relativement limitées et des commandes provenant presqu’exclusivement de compagnies russes, l’avion présente des avantages compétitifs face à ses concurrents. Son fuselage est plus large que l’Airbus A320 ou le Boeing 737, promettant aux passagers davantage de confort. Les technologies utilisées ont fait l’objet d’importants investissements par les bureaux d’étude Irkut, à l’image de l’aile, conçue à partir d’un nouveau matériau composite à base de fibre de carbone, pour plus de légèreté. Les 185 commandes dont il a fait l’objet lui assurent par ailleurs des débuts commerciaux convenables.
Les espoirs fondés par l’UAC en l’Irkut MC-21 pourraient se révéler réalistes si l’avionneur parvient à séduire des compagnies en dehors des frontières russes. Avec derrière lui l’espérance et la force de toute une nation aéronautique, le MC-21 se positionne parmi les offres les plus cohérentes d’un marché prometteur. D’après une étude de Boeing, 72% des besoins en avions de ligne seraient en faveur des transporteurs monocouloirs de 200 places d’ici 2036. Cela représenterait 29 530 appareils.
Des ambitions dans le long-courrier
Alors que des avions moyen-courriers récents comme le CS100 de Bombardier ont montré que le duopole Airbus-Boeing pouvait être menacé, aucun avionneur n’avait jusque-là prétendu pouvoir s’attaquer au marché des long-courriers. L’édifice industriel et économique nécessaire au développement de tels avions n’était à la portée que des plus forts. Pourtant en 2014, le président Poutine signait, lors d’une visite à Shanghai, un mémorandum d’intention avec l’avionneur chinois COMAC pour le développement d’avions de ligne civils. Premier pas vers la concrétisation d’un projet de gros porteur, cet événement témoignait du fait qu’ensemble, russes et chinois ne cachaient plus leurs intentions de venir menacer le duopole Airbus-Boeing sur le segment des long-courriers.
En mai 2017, une alliance finit par être créée entre UAC et COMAC. Portant le nom de China-Russia Commercial Aircraft International Co (CRAIC), elle est en charge du développement du CR929, conçu pour s’attaquer au marché du Boeing 787 et de l’Airbus A330. Avec une capacité de 280 places et une autonomie de 12 000 km, cet avion devrait être assemblé en Chine. Son premier vol est attendu pour 2024 et ses premières livraisons interviendront trois ans plus tard. L’industrie aéronautique chinoise, de la petite expérience qu’elle a tiré de ses projets d’avions régionaux, a certainement vu en cette collaboration l’opportunité de bénéficier du savoir-faire russe en matière d’avions long-courriers. Un signe notamment que les industriels aéronautiques russes ont su trouver les moyens de faire valoir leur expertise auprès des décideurs chinois.
Sans commandes annoncées pour le moment, le C929 incarne le parfait exemple d’une union fondée sur des apports mutuels. Si le projet abouti en étant assuré d’un succès commercial, l’industrie aéronautique russe aura prouvé qu’elle a bien sa place parmi les plus influentes du monde. Avec l’aide de son voisin géant certes, mais grâce à son incontestable savoir-faire.
Loïck Laroche-Joubert, à Cranfield pour AeroMorning