Il est un endroit sur terre où les premières aéronautiques sont presque devenues ordinaires : Caravelle, Concorde ou encore Airbus A380, la ville de Toulouse est, depuis les années 50, le berceau de nombreux projets aéronautiques qui ont marqué leur époque. Cette année, sur une autre échelle, une équipe d’ingénieurs basés dans la ville rose pourrait bien être à l’origine d’une première mondiale : celle du premier vol d’un hélicoptère électrique conventionnel.
Récemment, l’ENAC (Ecole nationale de l’aviation civile) a dévoilé le projet d’hélicoptère électrique porté par Philipe Antoine de la société Aquinea. Passionné par tout ce qui touche les innovations en aéronautique et convaincu que l’avenir de l’aviation légère est déjà tourné vers les moteurs électriques, j’ai décidé d’aller enquêter sur cet hélicoptère, dont les allures suscitent l’affection : Volta.
Entrevue avec Philipe Antoine, ingénieur aéronautique passionné et porteur du projet qui a accepté de répondre à mes questions :
D’où vous est venue l’idée de l’hélicoptère électrique ? Pourquoi la société Aquinea, qui produit des pompes à chaleur pour les piscines, est à l’origine d’un tel projet ?
« En tant qu’ingénieur aéronautique, je suis tout d’abord convaincu que l’électrique représente aujourd’hui une filière d’avenir. Il y a quelques années, animé par la passion aéronautique et l’envie de concrétiser mes projets, je me suis lancé avec un ami dans les pompes à chaleur pour piscines. La société Aquinea est née de cette volonté et nous a permis de dégager des fonds nécessaires au développement de Volta, notre premier démonstrateur. Nous avons trouvé beaucoup d’avantages à fonctionner sur fonds propres. D’abord, trouver des fonds extérieurs dans cette phase du projet aurait été difficile : les investisseurs veulent s’assurer qu’ils ne se lancent pas dans une entreprise risquée. L’hélicoptère n’ayant toujours pas volé, il nous aurait été demandé des garanties trop lourdes pour que le projet soit viable. Aujourd’hui, nous ne sommes redevables de personne et avons la chance de pouvoir fonctionner librement. Nous gagnons du temps sur certains points car c’est la technique et la passion qui priment ! Si nous souhaitons ralentir la cadence, nous avons la possibilité de nous concerter pour prendre une décision commune. C’est un travail d’équipe. »
« Malgré cela, il faut tout de même reconnaître certains inconvénients, comme notamment le fait de ne pas pouvoir disposer de toutes les connaissances au bon moment. Alors le projet avance à un rythme normal : voilà 3 ans que nous y travaillons. Nous avons déjà parcouru un bon chemin. »
Que souhaitez-vous démontrer avec ce projet d’hélicoptère électrique ? Sur quel appareil se base le premier démonstrateur Volta ?
« L’objectif de notre démonstrateur Volta est de réaliser le vol du premier hélicoptère électrique conventionnel au monde. Conventionnel signifie que Volta s’apparente à la majorité des hélicoptères actuels dans sa configuration : un rotor principal associé à un rotor anti-couple. D’autres hélicoptères électriques de formule non-conventionnelle ont déjà volé.
Volta repose sur la cellule d’un hélicoptère que j’ai conçu et construit il y a plusieurs années en régime amateur. Un moteur thermique y était associé. Avec l’équipe du projet, nous avons dû travailler à « l’électrification » de la machine. On ne passe pas d’un moteur thermique à un moteur électrique aussi facilement qu’on pourrait le croire. Dans le cas de l’électrique, la batterie représente une telle masse (environ 160 kg) que des changements doivent être apportés. Heureusement, les caractéristiques de stabilité de l’hélicoptère n’ont pas eu à changer.
Ces raisons font que Volta ne disposera pas de performances optimisées : ce sera un premier prototype, censé démontrer que la technique de l’hélicoptère électrique conventionnel est fiable et permet d’espérer une utilisation ordinaire. »
Où en est le programme de développement ? Quelles en sont les prochaines étapes majeures ?
« Le premier vol de Volta est imminent. L’objectif de ce premier vol sera bien évidemment de démontrer que la formule est viable. Les vols qui suivront nous permettront de tirer des conclusions importantes pour la suite du projet.
Si les premiers essais s’avèrent satisfaisants, nous allons pouvoir amorcer la deuxième phase du projet : le développement d’un hélicoptère biplace de même configuration. Nous envisageons de démontrer que l’appareil pourra tenir 25 minutes en vol stationnaire sans compter la réserve. Nous travaillons d’ores-et-déjà sur cet hélicoptère et je peux affirmer que beaucoup de modifications seront apportées par rapport à Volta. »
Le projet semble être prometteur sur le plan technique : quelles sont donc les ambitions commerciales qui pourraient suivre ? A quels besoins l’hélicoptère électrique peut-il répondre sur le marché de la giraviation ?
« Les hélicoptères actuels sont victimes de deux problématiques bien connues : les nuisances sonores et les coûts d’exploitation élevés. Utiliser un moteur électrique à la place du moteur thermique constitue un moyen de les résoudre. Ainsi équipé, l’hélicoptère ne génère que les bruits dus à sa voilure (ses rotors) et permet à ses utilisateurs de bénéficier de coûts d’exploitation bien moindres comparés à ceux des machines actuels. » Notons qu’il faut compter en moyenne plus de 400 € l’heure de vol sur un biplace en instruction.
« Les moteurs électriques ont l’avantage d’être extrêmement propres : ils n’émettent aucune particules et ne font aucun bruit. La maintenance sur ces moteurs est aussi plus simple que sur les moteurs thermiques.
En ce qui concerne le marché, nous étudions plusieurs perspectives mais le marché de l’hélicoptère de formation est une de nos cibles prioritaires. Nous avons pu identifier un besoin en nous basant sur un constat simple. La ville de Toulouse en est un bon exemple : les hélicoptères, à cause de leur niveau de bruits élevé, ne peuvent pas survoler la ville. Il y a vingt ans, des hélicoptères étaient basés sur le terrain de Lasbordes, mais l’urbanisation incessante de la zone les a relégué très loin … Si vous cherchez une école de pilotage d’hélicoptère à Toulouse, il faut parcourir plusieurs kilomètres par la route pour en trouver une. Au vu de la demande pour les formations en avions légers à Toulouse, on comprend aisément qu’une formation en hélicoptère plus proche du centre-ville puisse intéresser du monde. Et ce principe s’applique bien entendu à d’autres villes en France.
En plus du marché de l’hélicoptère de formation, nous étudions celui de l’armée. Nous travaillons avec l’ALAT (Aviation légère de l’armée de Terre) pour cerner quels besoins pourraient être comblés (comme par exemple celui pour un appareil autonome à décollage vertical électrique). »
Pour finir, avec quels partenaires avez-vous le plaisir de travailler pour le moment ? Souhaitez-vous étoffer votre liste de collaborateur ?
« Plusieurs partenaires sont impliqués dans le projet. Parmi eux, l’ENAC est celui qui se charge de l’interface homme-machine. L’école dispose d’un laboratoire et d’un logiciel développé en interne qui permettent de concevoir un produit intéressant. L’E-Fan d’Airbus fait d’ailleurs partie des autres projets sur lesquels l’ENAC intervient dans ce domaine. Pour la partie commerciale, nous essayons d’étudier au plus près les besoins des écoles de pilotage en collaborant avec celle dont notre pilote d’essai numéro 1 est propriétaire. »
« Par la suite, nous serions ravis de pouvoir collaborer avec d’autres entités sur le plan technique pour notre deuxième démonstrateur. Il existe aujourd’hui des technologies arrivées à maturité qui pourraient correspondre à nos choix techniques. Toutefois, nous ne pourrons avancer dans notre recherche de partenaires techniques qu’une fois le premier vol de Volta réussi. » Ce n’est désormais plus qu’une question de temps …
Taïwan, Loïck Laroche-Joubert, pour AeroMorning