Ils n’ont que cette phrase à la bouche : l’intelligence artificielle. « L’IA » fera ci et ça, et elle sera bien plus efficace que nous les humains. Et bien sûr, elle va nous piquer nos emploi, en attendant pire !
Nous allons un instant tenter d’être plus raisonnables, plus rationnels, naturellement ! Jamais il n’y a eu sur Terre autant d’automatismes. Jamais il n’y a eu autant d’humains. Jamais autant d’emplois ont été pourvus. La maxime de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » est peut-être encore d’actualité. Et son inspirateur, bien plus ancien, le philosophe grec présocratique Anaxagore l’énonçait autrement, mais avec tout autant de pertinence : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ». La limite de ce raisonnement s’achève devant la guillotine, puisque c’est sous sa lame que Lavoisier termine en 1794 sa vie par la bienveillante grâce de la Révolution. Et si rien ne se perd, beaucoup se créée. Ce n’est pas comme pour l’eau…. Présente depuis l’origine sur la Terre.
Mais il est vrai que les outils, puis les automates, et enfin les calculateurs et les mémoires, et tout ce qui les accompagne, ont changé le monde en quelques siècles, et l’ont bouleversé en quelques décennies. Nous sommes à l’ère non plus des data bases mais des Big-Data. Et des puissances de calcul. On compte tout en millions de milliards, pétaoctets unité de stockage et en pétaflops, l’unité de calcul par seconde : Ainsi, en 2018, le Summit américain (d’IBM) était l’ordinateur le plus puissant du monde avec ses 122 pétaflops ou 122 millions de milliards d’opérations par seconde.
Ainsi il est indiscutable que les mémoires informatiques sont capables d’engranger des quantités de données considérables, et de les computer, d’en faire usage, à des vitesses pour nous « astronomiques ». Sûr que le cerveau humain sera, s’il n’est déjà, totalement dépassé par ces assemblages de processeurs et de mémoires qui croissent à des vitesses logarithmiques. Mais « tête bien faite vaut mieux que tête bien pleine », et que fait-ont de l’émotion, de l’initiative, de la tentation et de la désobéissance ? Que fait-on de l’amour et de la haîne ou de la rancœur…. Saura-t-on également-les mettre en équations ? Pourquoi pas ? Mais, c’est bien l’homme qui invente la machine… S’il est dépassé, la machine aura-t-elle de propres ambitions. Dans quel monde ?
Tout cela, au travers de mes nombreuses lectures et de mes nombreux échanges, me paraît encore bien loin. Je retiens que nos fabriquant d’avions, de navires, de véhicules, d’armes, savent et veulent utiliser toutes ces capacités impressionnantes, mais qu’ils ne savent pas se priver de l’opérateur humain. L’acte politique est de responsabilité humaine. Et bien d’autres.
Nous nous souvenons que c’est en prenant des initiatives et en commettant quelques erreurs, voir des fautes, que l’équipage de l’Airbus A320 d’US Airways a réussi un amerrissage salvateur sur l’Hudson en 2009. Mais, en relisant bien le rapport d’accident du NTSB on y voit également que les pilotes ont perdu près d’une minute, précieuse et stratégique sur les presque quatre dont ils disposaient, a tenter de rallumer leurs réacteurs gorgés d’oies du Canada. De bons outils de diagnostic auraient pu les dissuader de perdre ce temps, car l’enquête a montré que c’était impossible, et qui sait, alors, cette minute aurait permis de viser directement la piste de Teterboro. Plus accueillante que l’eau. …. Donc pas question de se priver de l’exploitation des données fournies par les capteurs, les calculateurs, combinées avec « l’expérience » de la mémoire accessible et immense. Le commandant du sous-marin en chasse ou en fuite, l’opérateur du robot en goguette sur la planète Mars, à 20 minutes de tout signal terrestre, le pilote du drone qui programme sa machine, à l’abri du danger, ne peuvent plus se passer des aides à la décision, des acteurs automates, et autres précieux systèmes experts modernes. Mais n’oublions pas que jusqu’ici, aucun roman ou poème n’a remporté un prix littéraire, et encore moins le cœur d’une belle !
Airbus développe comme Boeing les automates qui auront la charge du pilotage des avions dans les décennies à venir. Mais aucun des deux n’envisage pour l’heure que les pilotes demeurent au sol, ou qu’ils disparaissent carrément. La certification des avions, un dû aux passagers, gage de leur sécurité (et de leur sureté) vise un risque de 10-9. Sans homme à bord le challenge ne parait pas tenable avant plusieurs décennies. Et comme l’homme est faillible, s’il est requis d’en avoir un à bord, il en faudra deux…. Le SPO, « Single Pilot Operating » exige deux opérateurs. Mais rien n’interdit de leur trouver d’autres tâches à bord, tandis qu’ils « managent » leur appareil. Chez Dassault, expert sur ses « Rafale », pilotés, on ne fait pas non plus descendre les pilotes du bord des futurs Falcon. Mais il est vrai qu’un seul à l’avant, puissamment aidé par des automatismes performants et quasi autonomes, permettra au second de se reposer au cours des longues missions, et à l’occasion de choyer les passagers, diminuant ainsi le besoin de personnel de bord. Les avions volent si longtemps ! Dans une situation d’apparence critique, il sera toujours plus simple aux passagers néophytes de dialoguer avec un de leurs semblables qu’avec une interface aussi intelligente soit-elle mais dépourvue d’émoi. Et n’oublions pas que les passagers sauront, le moment venu, exprimer leur avis. Alors accompagnons raisonnablement et résolument le développement de tous les systèmes faisant appel à ce qu’on ose déjà appeler « l’IA », mais sans nous précipiter dans le piège. Et ne l’oublions pas, l’intelligence n’est pas seulement une mémoire associée à une capacité de calcul. L’intelligence n’est pas un algorithme… pour l’heure !
La chronique de Michel Polacco pour Aeromorning.com