Grand hackathon d’innovation autour de l’espace organisé par le CNES, l’ESA et l’ESA BIC Sud France, le concours bisannuel ActInSpace a livré le verdict de son édition 2018 les 27 et 28 juin à Toulouse. Vainqueur de l’étape parisienne, le projet Dragonfl’AI mené par Maxime Lenormand (IPSA promo 2019) s’est vu ainsi attribué la deuxième place ainsi que le Prix du Public lors de la finale française de l’événement. L’occasion d’en savoir plus sur ce projet aérospatial ayant pour objectif de contrer une maladie terrible : la malaria.
Comment t’es-tu retrouvé à participer à ActInSpace ?
Maxime Lenormand : J’y ai déjà participé il y a deux ans avec d’autres IPSAliens, mais à l’époque, comme tout s’était un peu décidé au dernier moment, notre projet n’avait pas pu être réellement abouti. Cela m’avait par contre donné envie de revenir ! Contrairement à ma première participation, j’ai cette fois monté une équipe avec des personnes ne venant pas de l’IPSA : je voulais m’entourer d’étudiants et de professionnels d’autres horizons pour découvrir des approches différentes. Une équipe 100 % IPSA a des atouts certes, mais elle a aussi les défauts de ses qualités en regroupant des profils plutôt similaires, avec des futurs ingénieurs possédant une vision assez proche de ce que peuvent être l’aérospatial et la gestion de projet.
Qui retrouve-t-on alors dans l’équipe Dragonfl’AI ?
J’ai d’abord proposé à deux amis, Paul Wohrer et Guillaume Duchesne, également basés à Paris et passionnés d’aérospatial de participer à mes côtés cette année. Ensuite, avant le début du hackathon parisien, lors d’un événement permettant aux participants de se rencontrer afin de constituer les équipes, deux autres personnes nous ont rejoint, Adrien Sicart et Amiel Sitruk. Enfin, après le hackathon, une autre personne a également rallié notre team, Emma Hollen. Pour le moment, nous sommes donc six membres au sein de Dragonfl’AI : Guillaume, Adrien, Amiel, Emma, Paul et moi.
Revenons-en au hackathon. Comment s’est-il passé pour vous ?
Ce fut intense ! En effet, le hackathon d’ActInSpace demande aux équipes de développer un projet en 24 h : il ne s’agit pas seulement de trouver une idée, mais de pouvoir présenter un business model, des clients potentiels, etc. Les équipes doivent aussi choisir quel challenge relever parmi ceux proposés par les organisateurs et partenaires. De notre côté, nous avions choisi de nous attaquer à un sujet assez vaste via le challenge « Let’s use Artificial Intelligence to develop new applications from Earth Observation data » soumis par Airbus. Cela a d’abord donné lieu à une grande phase de réflexion car nous avons passé près de 8 h à trouver notre idée ! Durant ce laps de temps, au fur et à mesure que nous rejetions les propositions des uns et des autres, nous commencions à désespérer et voir les autres équipes autour de nous avancer sur leur projet n’arrangeait pas non plus les choses… 8 h sur 24 h à chercher une idée lors d’un hackathon, c’est énorme ! Finalement, tout s’est décanté quand l’un de nous a eu l’idée de se renseigner sur les premières causes de mortalité dans le monde. C’est comme cela que l’idée de réaliser un projet pour endiguer la malaria et lutter contre la prolifération des moustiques est venue.
Comment Dragonfl’AI souhaite s’y prendre pour lutter contre la malaria ?
Avec Dragonfl’AI, nous voulons utiliser de l’imagerie satellite pour non pas détecter des moustiques depuis l’espace – ce n’est pas faisable aujourd’hui –, mais détecter des zones d’eau stagnante selon différents critères (taux d’humidité, température grâce aux images infrarouges, topologie grâce aux images radar…) et coupler ces informations aux connaissances du terrain et aux conditions météorologiques. Le but, c’est de pouvoir obtenir un modèle prédictif des zones de développement des moustiques à proximité des habitations dans des territoires où l’on sait que la malaria peut se propager. En effet, la malaria ne se transmet pas d’homme à homme : ce sont uniquement les moustiques qui sont vecteurs de sa transmission. Pour agir contre elle, il faut savoir où se trouvent les moustiques à l’état larvaire – moment où ils sont le plus vulnérables – et transmettre ces informations aux autorités. Aujourd’hui, ces dernières font de l’épandage massif d’insecticide. Avec notre solution, elles pourraient plutôt mener des actions très localisées, quasiment chirurgicales, pour éviter l’éclosion des moustiques et donc leur propagation. On peut également imaginer donner ces informations aux populations afin que celles-ci puissent s’organiser en fonction – un peu comme ce qui se fait à la Réunion avec la dengue – et éviter les zones à risques. Au fond, il s’agit de passer d’un modèle préventif assez grossier à un modèle d’intervention très ciblé.
En plus de son impact sanitaire, cette solution aurait aussi un impact financier…
C’est vrai. Chaque année, on estime à 2,7 milliards de dollars le budget alloué à la lutte contre la malaria et un manque à gagner de l’ordre de 20 milliards lié à la maladie. La maladie provoque chaque année près de 850 000 décès. Ce sont des chiffres colossaux. Si le principal objectif de Dragonfl’AI est de baisser drastiquement le nombre de morts, nous espérons aussi changer les choses avec notre modèle économiquement viable et réalisable d’ici quelques mois : en agissant plus localement, les dépenses et les conséquences écologiques seraient drastiquement réduites !
Dragonfl’AI a remporté l’édition parisienne d’ActInSpace et terminé à la deuxième place de la finale française. Vous attendiez-vous à un tel engouement ?
Non. Avec le recul, on se dit surtout qu’avoir passé autant d’heures à éplucher les idées possibles a finalement été bénéfique pour le projet. Ce temps nous a permis d’aller à l’essentiel, dans le concret et de trouver une belle cause à défendre : on ne voulait pas proposer quelque chose de bancal. C’est peut-être pour cela que Dragonfl’AI a été apprécié. Je pense aussi que la complémentarité de l’équipe a joué un rôle déterminant. Au final, je suis le seul étudiant et le plus jeune des membres : Adrien a déjà plusieurs expériences dans l’entrepreneuriat, Amiel travaille dans le domaine du Machine Learning dans une start-up, Paul travaille dans tout ce qui est « politique du spatial », Guillaume est ingénieur mécanique en ergonomie et Emma est une spécialiste en matière de communication et de recherche de partenaires – ce qui est très important car nous allons devoir travailler étroitement avec des gouvernements et des ONG.
Justement, quelle est la suite du projet ?
ActInSpace nous a permis de gagner énormément en visibilité et en crédibilité. Avoir terminé deuxièmes va nous permettre d’aller plus facilement vers de potentiels investisseurs. Surtout, lors du Toulouse Space Show qui a suivi la finale française et internationale, plusieurs personnes – dont des représentants d’incubateurs – sont déjà entrées en contact avec nous pour savoir ce que nous comptions faire maintenant. Nous avons tous envie d’aller plus loin et de monter maintenant notre start-up, c’est une certitude.