Rafale Marine, renaissance inattendue et coup du siècle pour Dassault Aviation !
Qui l’eût cru ? Le Rafale Marine, Rafale M pour l’aéronavale française devient le premier avion embarqué exporté par la France, et par là, par le constructeur Français Dassault Aviation. Après les succès du Rafale à l’export ces dernières années (Egypte, Qatar, Croatie, Grèce, Inde, EAU, Indonésie), ce succès auprès de l’Indian Navy pour une version « à part », franco-française est une chance inespérée après tant d’espoirs déçus de la part des autres pays disposant de porte-aéronefs.
Dans un premier temps, le Rafale a pu exister parce que les exigences françaises d’une version navalisée ont participé au renoncement à l’avion « dit Européen » devenu le Typhoon ou Eurofighter. La Marine Française en a commandé 48 à l’origine. Elle n’en recevra finalement que 42, (plus sans doute les appareils remplaçants de 3 avions détruits). Mis en service en 2002, et régulièrement upgradé aux nouveaux standards du Rafale, il est devenu le seul appareil de combat embarqué français après le retrait des Crusader, des Etendard IV puis des Super Etendard.
Cet avion, conçu pour opérer depuis le porte-avions Charles de Gaulle, muni de catapultes de 75 mètres de longueur, contre 50 pour les Foch et Clémenceau, a effectué ses 39 premiers tests de catapultage et quatre premiers tests d’appontage simulés sur piste (ASSP) pendant l’été 1992 aux États-Unis sur les bases navales de Lakehurst dans le New Jersey puis de Patuxent River dans le Maryland. Ces bases d’essais disposent de pistes équipées de catapultes de 75m identiques à celles des porte-avions américains et permettent de simuler des catapultages à partir de la terre. Ce dont la France ne dispose pas. Deux autres campagnes d’essais avec des charges lourdes sont effectuées aux USA en 1993.
Le Rafale M01 a effectué son premier appontage avec Yves Kerhervé, (Bill !) le 19 Avril 1993. Le lendemain il a réalisé le premier catapultage d’un Rafale M également sur le Foch, qui avait été équipé d’un mini-tremplin afin de compenser sa plus faible longueur par rapport au futur porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle. Puis Éric Gérard a complété les essais avec le M02. Le premier appontage sur le Charles de Gaulle a lieu en 1999 alors que le porte aéronef était encore lui-même en tests.
Pour mémoire le concurrent du Rafale Marine (Rafale M), est alors et encore le F/A 18 Super Hornet. Et désormais le F35 américain (versions décollage/atterrissage vertical ou court) remporte la plupart des marchés de flottes embarquées. Mais, n’oublions pas que seuls les français et les américains opèrent des porte-avions à catapulte, les CATOBAR, Catapultage pour Take Off et Brins d’Arrêt pour l’appontage.
Ce sont les plus efficaces. Avec les avions les plus efficaces. Les autres nations utilisant la formule du tremplin, ou STOBAR, Short Take Off But Arrested Recovery (Brins et/ou Barrière d’arrêt). Ces choix ont par exemple condamné la possibilité de faire aéronavale commune avec les britanniques lorsqu’ils ont choisi de construire deux porte aéronefs à tremplin. Pourtant, le choix de l’Inde, et les essais effectués, ont démontré que le Rafale M est opérationnel aussi, et sans catapulte ! Nous y reviendrons.
Très vite il apparaît que la version Marine, quelque peu différente de la version air, est très performante et capable d’assurer toutes les missions imparties au Porte-Avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle et à son groupe aéronaval, comprenant également des avions de guet Hawkeye américains en place des Breguet Alizé. Missions de base : défense et supériorité aérienne, reconnaissance, appui-feu rapproché, attaque de précision et d’interdiction au moyen d’armes conventionnelles, frappe nucléaire – et tout cela dans ses déclinaisons marines : attaque antinavires et anti sous-marine, frappe à terre, ravitaillement d’autres aéronefs en vol, frappe nucléaire (FANU) depuis le PA.
Tandis que le Rafale Marine est opérationnel sur son unique bâtiment dès 2002, et est régulièrement modernisé aux nouveaux standards F1, F2, F3 (et en cours F4), il entre en service en 2006 dans l’Armée de l’Air et de l’Espace française où il occupe à ce jour, hors les Mirage 2000 D, toutes les fonctions classiques et de dissuasion attribuées à l’Armée de l’Air et de l’Espace française.
Depuis le milieu des années 2010, ses succès à l’exportation, dans ses versions mono et biplace (Air) lui ont permis, au vu de ses performances au combat sur différents théâtres, d’acquérir renommée et lettres de noblesse. Parmi les clients déjà livrés se trouve l’Inde, avec 36 avions pour l’Indian Air Force. L’Inde est un client historique des avions de combat français : l’Ouragan MD450 en 1953, 71 exemplaires, puis le Mystère IV, 110 exemplaires, ensuite le Jaguar (en coproduction avec les britanniques) 110 exemplaires, encore en service. Avant le Rafale, le Mirage 2000, 59 exemplaires, et la preuve d’une indéfectible fidélité. Dans l’avant dernière commande, sur les 36 Rafale Air, ou Rafale C, on compte 8 biplaces, des Rafale B, nécessaires à la formation. Et qui se révèleront utiles pour la suite navale en Inde.
L’Inde possédait deux Porte-Avions, anciens, opérant des aéronefs d’origine Soviétique, Mig 29K ou autrefois des Sea Harrier à décollage vertical. Ces navires étaient d’origine étrangère, soviétique pour le premier (l’INS Vikramaditya) et britannique pour le second (INS Vikrant) désormais retiré du service. Un nouveau porte-aéronefs, appelé également INS Vikrant, est en fin d’essais à la mer. De construction indienne, il est conçu selon le modèle « à tremplin », donc STOBAR. Peu d’avions, en dehors des appareils à décollage et atterrissage vertical (Sea Harrier et F35) sont capables de les utiliser. Sauf les très puissants appareils ex-soviétiques Mig 29 et Su 27. Mais ce n’est pas le choix actuel des Indiens*. Ils ont donc lancé un appel d’offre auquel seuls les américains avec le F18 et les français ont osé répondre. Sans certitude absolue de pouvoir utiliser un tremplin plutôt que des catapultes. Il a donc fallu faire des essais. Des tests. Et dans les deux cas, les appareils ont démontré des capacités. Mais le Super Hornet F18, avec ses 13,8 tonnes à vide est bien lourd comparé au Rafale M et ses 9,650 tonnes. De génération comparable, le F18 a fait son premier vol en 1978, et 1995 pour sa version navalisée, le Rafale en 1986 et 1991 pour sa version navale. Toutefois les deux ont subi nombre de modernisations. Et le Rafale, plus furtif, semble avoir nombre d’autres avantages qui lui ont permis de remporter le marché indien, limité pour l’heure à 26 avions. Mais la cible dépasse 57 !
Il a démontré aux essais en Inde, à Goa base, sa capacité sur tremplin à décoller à forte charge sur 150/200 mètres sans l’aide d’une catapulte ! Il possède un train avant « sauteur », à accumulation d’énergie, qui facilite son décollage et la prise d’assiette de vol, que ce soit au catapultage ou sur tremplin, il est muni d’une échelle télescopique, qui permet d’accéder à bord sans besoin d’escabeaux qui encombrent le pont et compliquent les manœuvres. Décollage et appontage à 120 nœuds avec arrêt en 70 mètres, avec une charge de 15 tonnes, vide-vite pour s’alléger en cas de retour urgent, dispositif lumineux sur le train avant qui facilite la tâche de l’officier d’appontage. Le siège éjectable est réglé pour un départ vers la gauche, pour éviter l’îlot du PA en cas d’éjection, à l’arrivée. De même la verrière s’ouvrant de côté facilite l’extraction pour maintenance du siège éjectable. Détail, l’avion possède un lave-glace pour nettoyer le sel marin déposé sur le pare-brise, et ses ailes en composite résistent très bien à l’univers salé. Il est naturellement capable de se ravitailler en vol et de jouer les ravitailleurs d’autres appareils. La version dont disposeront les indiens lors de la livraison du premier appareil comprendra la maintenance assistée, l’inspection par drone, et toutes les capacités du système d’arme en cours d’évolution vers le standard F5, missiles compris (Air/Air, Air/Sol, et Air/Mer).
Bien sûr on songe aux Meteor, air/air très longue portée, au MICA, au Scalp, de croisière, dans ses versions différente, EG et Storm Shadow, et à l’Antinavire Exocet, AM39, ainsi qu’à son successeur, lorsqu’il sera développé.
En 2018, 10 Rafale de la Marine Nationale Française avaient été invités sur le PA américain USS George Bush. Démonstration d’efficacité et d’interopérabilité parfaitement réussie. Surprise pour tous par les capacités de ce « petit » avion. Ce fut à coup sûr un bon investissement !
Bien sûr, il n’existe pas de version marine biplace du Rafale M. Souci pour la formation des équipages. Les Français partent se former aux USA à l’appontage. Mais sur les Rafale biplaces de l’Armée de l’Air et de l’Espace ils peuvent acquérir la qualification machine. Sans doute une formule sera trouvée. Je ne la connais pas. La France avait renoncé à cette version plus complexe et chère pour disposer de place pour « caser » les boites particulières, nécessaires en plus sur la version navalisée, déjà plus lourde de 300 kilos. Souci et de place et d’économie ! On s’en sort bien toutefois alors pourquoi pas les indiens !
Avec le marché indien, pour l’Indian Air Force et l’Indian Navy, Dassault, Safran (pour le moteur M88), Thales pour l’électronique, le système d’arme, MBDA pour les armements, et tous leurs coopérants et sous-traitants se réjouissent.
Mieux, ce marché inattendu, 30 ans après, pour la version marine du Rafale, alors que nombre de marines dans le monde s’équipent de porte-avions, est peut-être une formidable opportunité, que ce soit CATOBAR ou STOBAR ! Et nos marins qui voient vieillir leurs Rafales M, les premiers mis en service, peuvent espérer, une fois la chaine réouverte, que des commandes viendront rajeunir leur flotte le moment venu. L’horizon s’est dégagé.
Michel Polacco
*En revanche, l’INS Vishal, en projet, devrait être en configuration CATOBAR. Ce qui supposera pour l’Indian Navy de disposer d’avions capables d’être mis en œuvre dans les deux configurations.
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