A l’Est du continent chinois se trouve une petite île grande comme deux fois la Corse. Les premiers colons portugais l’avaient appelée Isla Formosa (l’île merveilleuse) tant elle frappait par la beauté de ses paysages.
Elle porte aujourd’hui le nom d’une grande nation : Taiwan. Siège du géant de l’informatique Asus et riche de son industrie de l’électronique, le pays a su bâtir au fil des années une solide culture de la productivité et du développement le plaçant à la 20e place dans le classement des puissances mondiales. Malgré un territoire relativement restreint, Taiwan dispose d’une industrie aérospatiale qui mérite de s’y intéresser, tant pour ses perspectives ambitieuses que pour ses nombreuses collaborations avec des industries françaises. Le mois dernier, la première partie de cette chronique était consacrée à la présentation de cette industrie à travers le projet de chasseur et de satellites que le pays a développé sur fonds propres.
C’est donc dans cette deuxième partie que nous découvrirons le projet de français installés à Taiwan qui développent une ambitieuse société dédiée à l’exploration spatiale. Nous nous intéresserons également à la réaction du gouvernement taiwanais face à la première révolution que l’industrie spatiale mondiale connaît en ce XXIe siècle : celle de la privatisation du secteur.
Des français à l’origine d’une ambitieuse entreprise
L’histoire que nous découvrons ici est celle de deux anciens diplômés de l’Institut Polytechnique des Sciences Avancées (IPSA) au CV nomade. Les Pays-Bas, la Chine, le Japon, Taiwan, sont autant de pays où Julien et Jordan, deux français expatriés ont bâti leur carrière de jeunes hommes d’affaire. C’est au cours de l’un de leurs nombreux voyages que la volonté de fonder une entreprise à Taiwan leur est venue. L’idée était de se lancer dans l’essor des micro satellites pour l’exploration de l’espace lointain (au-delà de l’orbite terrestre) tout en répondant aux incitations formulées par des professeurs de l’Université Nationale de Cheng Kung à Taiwan, où ils avaient déjà étudié pendant un semestre. L’université s’était montrée très intéressée par les perspectives de développement de l’entreprise proposées par les deux français. Très vite, les choses se sont concrétisées avec la création en 2016 d’Odysseus au sein de l’incubateur de l’école.
Aujourd’hui, Odysseus est la première entreprise spatiale privée du pays. Encore jeune, elle se dédie pour le moment à la fourniture de prestations pour le compte d’autres acteurs du spatial local : études de faisabilité, gestion d’achats, logistique et formation. Seuls quelques clients bénéficient actuellement des services d’Odysseus mais des contrats devraient intervenir dans les prochains mois et le champ des missions devraient s’étoffer. L’objectif à terme sera de concevoir et de piloter des missions de lancements de « cubsat », des petits satellites conformes à un standard créé dans les années 90 pour rendre le lancement de satellites accessible aux projets étudiants. Les créateurs d’Odysseus projettent de révolutionner les missions d’exploration spatiale lointaines grâce à leurs « cubsat » et au développement des technologies de navigation autonome et à la communication inter-satellite. Autant dire que les ambitions des deux français leur assurent de beaux débouchés pour les années à venir. Reste à trouver les clients …
Les visions des deux ingénieurs français s’étendent au-delà des frontières taiwanaises. Odysseus est encore la seule société en Asie à proposer ce genre de services, il est donc fort probable qu’une fois que la demande sur le continent asiatique aura explosé, Odysseus se positionnera en tant que pionnier et numéro un d’un marché porteur. Encore une belle preuve des talents des français expatriés semble se profiler derrière cette entreprise !
De quelle révolution Taiwan veut elle profiter ?
L’histoire du spatial puise ses origines à l’issue de la seconde guerre mondiale, dans un monde fracturé et sous l’influence de deux blocs : les américains capitalistes d’un côté et l’URSS communiste de l’autre. Dans un contexte de guerre froide, tous les moyens sont bons pour ces deux adversaires d’affirmer leur puissance et d’assurer leur suprématie dans les différents domaines technologiques. Parmi ces domaines, l’aviation, l’armement ou encore le spatial.
L’arme nucléaire arrive à maturité et les premiers avions furtifs supersoniques sillonnent les cieux ennemis dès le début des années 60. Le spatial fait quant à lui un peu office d’inconnu car l’expérience y est quasi inexistante, que ce soit chez les américains ou les soviétiques. Naturellement, pour envoyer les premiers hommes dans l’espace, les deux puissances puisent leur savoir de l’expérience acquise en aviation, la mère du spatial. A l’Est comme à l’Ouest, est astronaute qui a fait une carrière exemplaire en tant que pilote au sein de l’armée de l’air. Hors de question d’envisager que des personnes non militaires se rendent dans l’espace…
Dans les années 90, le projet de la station spatiale internationale (ISS) autorise pour la première fois des civils comme des médecins ou des scientifiques à se rendre en orbite, élargissant le champ d’individus pouvant potentiellement accéder à l’espace. Depuis 2001, ce champ est encore élargi avec la possibilité de séjourner quelques jours à bord de l’ISS pour les heureux détenteurs de la somme de 30 millions d’euros …
Ultime élargissement du champ depuis que des visionnaires projettent de développer le tourisme spatial.
Des entreprises privées comme Virgin Galactic, Blue Origin ou Space X ont ouvert la voie du spatial aux privés.
Ce phénomène de privatisation est une véritable révolution dans le spatial où les organismes publics ont détenu l’exclusivité des projets depuis les années 60. En perspective, c’est une nouvelle ère qui verra une réduction des coûts d’accession à l’espace.
Un pays qui met le cap sur le spatial privé
Qui dit entreprise privée dit sous-traitants et fournisseurs privés. Et dans le spatial, les besoins sont divers :
structures, matériaux, électroniques, micro-électroniques … Taiwan est connue pour la richesse de son industrie de l’électronique et de la micro-électronique, elle dispose donc déjà de certaines compétences techniques pour développer des systèmes embarqués à bord d’engins spatiaux. Un contexte industriel qui représente le berceau idéal pour qui se lance dans le spatial, comme nos deux français à la tête d’Odysseus. « Taiwan nous a offert un environnement très adapté à nos besoins. Les industries de l’électronique sont nombreuses et très à la pointe avec des équipements qui leur autorise une production à grande échelle. Nous profitons alors de coûts largement inférieurs à ceux auquels nous serions confrontés en Europe ou aux Etats-Unis » déclare l’un d’entre eux.
Les pouvoirs publics taiwanais sont conscients de cet atout et entendent bien profiter de la privatisation de l’industrie spatiale. Le directeur du programme spatial taiwanais en 2008 et 2009, Jiun-Jih Miau, s’est personnellement investi dans la création du projet d’Odysseus en tant qu’incitateur. Il a été le médiateur entre l’administration et les fondateurs du projet. « Odysseus est l’exemple d’entreprise que nous aimerions accueillir dans les prochaines années. Des personnes expérimentées ayant travaillé à l’étranger et ayant reçu une formation technique représentent le profil idéal. Les apports sont réciproques : nous bénéficions de leur savoir-faire technique et de leurs compétences en matière de commerce international tandis qu’ils tirent profit de tous les avantages de notre environnement industriel ». Dans cette optique, le gouvernement taiwanais favorise la création de sociétés spatiales son sur territoire en proposant des facilités administratives aux candidats.
Ainsi, en ouvrant la voie aux compagnies privées, Taiwan peut se targuer d’être une pionnière face aux ténors du spatial asiatique que sont le Japon et la Chine. L’avenir dira si le pari lancé par les décideurs taiwanais aura été gagnant et aura accordé à la nation le privilège d’être le meneur d’un marché mondial très lucratif.
Loick Laroche-Joubert à Paris pour AeroMorning