On l’a craint. On a pensé que c’était oublié. Que non. L’Initiative de Défense Stratégique (SDI) ou « Guerre des Etoiles », lancée en mars 1983 par le président américain Ronald Reagan, a fait croire que l’espace allait devenir un nouveau champ de bataille, en complément de la Guerre Froide, sur Terre, qui opposait dans « l’équilibre de la terreur », occidentaux et bloc de l’Est. Le projet trop coûteux a avorté, mais il a eu pour effet de « désespérer » les soviétiques dont le système politique dictatorial s’est effondré peu après pour diverses causes, dont cette menace impossible à contrer pour un coût raisonnable !
Mais soyons honnêtes, depuis les prémices, l’Espace est un terrain d’exercice et d’action pour les militaires : le premier véhicule à s’être extrait de l’atmosphère terrestre est le V2 nazi, missile balistique supersonique qui était capable de monter à plus de 300 kilomètres d’altitude (la limite reconnue air/espace est de l’ordre de 110 kilomètres), et qui portait une charge militaire dont les belges, les britanniques et même les français ont fait les frais. Heureusement, l’explosif était classique. Le régime d’Hitler ayant martyrisé, tué ou chassé ses savants atomistes souvent d’origine juive, l’arme atomique a été développée aux USA, mais les nazis n’en ont pas disposé. Par chance. Mais le V2 est bien la première arme spatiale. Passé la Guerre, américains, britanniques, soviétiques et français ont repris les travaux de l’équipe de Van Braun, et ont développé, chacun à son rythme des missiles a vocation militaire. Toutefois, le R7 soviétique, directement issu des technologies des V2 fut le premier capable de missions intercontinentales, et donc par là une menace considérable. Et, utilisé comme porteur pour lancer en 1957 le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik -1, il a permis de montrer que si le ciel est la propriété des états, l’espace est lui ouvert à tous, donc l’observation, l’espionnage, et pire, l’utilisation d’objets spatiaux à l’appui de conflits, comme par exemple des armes spatiales. Spoutnik et son célèbre Bip-Bip constituait bien la manifestation d’une capacité militaire, alors unique, qui a lancé la course à l’espace, appelée Conquête Spatiale, car elle a eu également des aspects civils.
Mais ce sont au départ les militaires qui ont mené cette course. Et nombre de nations se sont élancées à leur tour, le plus souvent au nom de motivations civiles, mais toujours avec une arrière pensée stratégique, l’espace est « dual ».
Les premières stations spatiales orbitales, soviétiques, comme Saliout, étaient des stations animées par les militaires. La course à la Lune a pu donner l’illusion d’un usage pacifique de l’Espace au nom de la science, mais les technologies développées ont toutes eu des retombées sur les capacités militaires des nations concernées. Et qui ignore que la nation qui se flatte d’avoir placé un satellite en orbite, même civil, affirme par là, directement, qu’elle est en mesure de porter une charge militaire à plusieurs milliers de kilomètres ? Et pourquoi pas nucléaire, si le pays en est capable ?
Depuis Spoutnik, l’espace s’est chargé de sondes à but scientifique, de stations orbitales parfois partagées, avec les russes, ou non, avec les chinois, et de satellites civils et militaires, nombreux, assurant les communications, l’observation, le guidage. Une contrainte, leur durée de vie est limitée au carburant ou à l’énergie embarquée pour leur permettre de se maintenir en orbite, et à la durée de vie de leurs composants. Il faut donc soit les remplacer régulièrement, soit se rendre sur place pour les réparer et les ravitailler.
La navette spatiale américaine, militaire pour une bonne part savait effectuer de telles missions, comme trois fois à 700 kilomètres pour le télescope Hubble. On a même repêché des satellites en panne rapportés sur terre et réparés avant d’être lancés à nouveau.
Mais nombreux sont les satellites ou objets militaires ou mixtes (duaux) en orbite dont l’objectif n’est pas seulement lié à la défense. La préparation des missions de guerre, donc d’attaque, se fait au moyen de vues satellitaires d’une précision inouïe. (Même si les drones se taillent une place de choix dans ce domaine, et si les avions gardent un rôle non négligeable). Mais le satellite n’oblige pas à avoir la maîtrise de l’espace aérien. L’analyse du spectre électromagnétique, des liaisons radio, des ondes radar des systèmes de défense, de positionnement, le brouillage, la réception électromagnétique, sont également désormais possibles avec les outils spatiaux.
Et réapparaissent de petites navettes spatiales inhabitées (pour l’heure) capables de missions encore très secrètes, opérées par des agences gouvernementales, dont le rôle lié à la mobilité et à la capacité de changer d’orbite sera majeur. On se souvient bien sûr de la fiction « Space Cowboys » de Clint Eastwood, où d’anciens astronautes sont mobilisés pour désamorcer un dispositif secret de lancement de missiles établi sur un satellite. Confirmation officieuse de tests secrets effectués depuis des années des deux cotés du Rideau de Fer et préfiguration des tests réalisés depuis par les indiens (Mars 2019 MicroSat-R), les chinois (janvier 2007 Fengyun-1C et 2015 Dong Neng-3), les russes (Nudol novembre 2015 et Cosmos 2543 le 15/07/2020) et les américains (2008 USA-193) pour détruire depuis l’espace, avec des missiles antisatellites en orbite, ou depuis la Terre, avec des missiles aériens ou balistiques, des satellites de communication ou d’observation d’autres nations. Voire des satellites tueurs.
C’est l’introduction, réussie, et très polluante par les débris, de la capacité de guerre dans l’espace, dans un premier temps entre objets militaires adverses. Mais aussi l’espionnage de satellites par d’autres satellites : Le gouvernement français ne cachait pas son mécontentement en 2017 après avoir détecté un satellite russe « aux grandes oreilles » changeant d’orbite et s’approchant d’un satellite de communications sécurisées franco-italien. Menace et intimidation, bien sûr (2017 Luch-Olymp Russe contre Athena Fidus).
Pourtant les traités internationaux interdisent les armes offensives en orbite. Mais en fait aucune déclaration officielle ne confirme les faits observés. Et qu’entend-t-on par « offensive » ? Chacun estimera qu’il s’agit, ou pas, d’offensive ou plutôt de capacité anticipée de légitime défense.
Aujourd’hui, c’est un fait acquis, on sait lancer des satellites baladeurs. Militaires et bientôt civils, dont les missions civiles seront bien sûr celles dévolues à l’origine aux navettes spatiales, en bien moins chers et plus performants : entretien, ravitaillement en orbite, en automatique ou piloté du sol, comme des drones. Docks spatiaux. Ils pourront également participer à la collecte des débris spatiaux pour « nettoyer » certaines orbites dangereusement polluées. Pour les militaires, ils ont (ou auront) la capacité d’espionner, brouiller ou détruire, mais avant tout de protéger contre les satellites tueurs ou agressifs.
C’est bien une capacité de combat spatial. On a vu ces dernières années voler des navettes inconnues (X-37B USA 276 et CSSHQ Chine septembre 2020), sans doute prototypes récupérables pour ces futures missions.
Mais du coup, on s’organise pour être en capacité de détecter et de se défendre…. La machine est lancée… Cette guerre des objets, si l’on exclut d’y mêler la station orbitale habitée ou les prochaines missions humaines vers la Lune ou des astéroïdes, est désormais programmée, possible, voire nécessaire et incontournable pour garantir nos communications, notre liberté d’observation, donc l’action de nos forces militaires et notre vie quotidienne. Comme le soulignait le président de la République en juillet 2019, « l’espace exo atmosphérique est devenu « une nouvelle zone de confrontation » et notre responsabilité est d’en tirer toutes les conséquences ». Pas étonnant dans ces conditions que l’Armée de l’Air française soit devenue en 2020 l’Armée de l’Air et de l’Espace. Avec un commandement de la défense spatiale. Car si nous ne sommes pas en plein dans la fameuse « Guerre des Etoiles » nous sommes au seuil, et cela y ressemble beaucoup !
Michel Polacco www.aeromorning.com