Tout a commencé par les crashs des Boeing 737 MAX de Lion Air et d’Ethiopian Airlines, respectivement en 2018 et 2019. Puis c’est une porte qui s’est arrachée en plein vol sur un vol Alaska Airlines. Puis une roue qui s’est décrochée au décollage. Depuis ce qui est devenu « L’affaire du Boeing 737 MAX », l’avionneur ne fait que parler de lui. Il doit rendre des comptes et doit surtout s’interroger sur son modèle. Car la source de ses ennuis a été identifiée de longue date. Depuis quelques mois, des signes encourageants pourtant montrent une ressource du Jumbo Jet industriel Boeing. Il était temps.
Après une année 2024 marquée par une crise de qualité sans précédent, Boeing envoie des signaux tangibles de reprise en ce début de mois de novembre 2025. Deux indicateurs clés l’attestent. D’un côté, il y a l’assouplissement (par la FAA) du plafond imposé à la production du 737 MAX et de l’autre une remontée des livraisons sur les neuf premiers mois de 2025.
La Federal Aviation Administration a effectivement autorisé Boeing à relever le rythme de production du 737 MAX de 38 à 42 appareils par mois, levant partiellement le cap instauré en janvier 2024 à la suite de l’incident du MAX 9 d’Alaska Airlines (une porte issue de secours se détache). La décision intervient après des inspections dans les usines et un examen des processus qualité de l’avionneur. Côté flux sortants, Boeing a livré 440 avions commerciaux au 30 septembre 2025, contre 291 sur la même période de 2024, repassant au-dessus des chiffres de 2023. Le mix reste fortement tiré par la famille 737 (330 unités, vs 229 en 2024), le reste se répartissant entre 20 B767, 29 B777 et 61 B787. Au printemps, la direction indiquait vouloir travailler avec la FAA pour franchir une nouvelle marche et viser 47/mois B737 MAX d’ici fin 2025. L’approbation récente pour 42/mois, en dessous de la demande initiale, s’inscrit dans cette trajectoire de reprise.
La traversée du désert pour l’avionneur
Et pourtant, Boeing revient d’une longue traversée du désert. Le mot « Boeing » étant devenu aujourd’hui signe de buzz et d’incidents pour les médias généralistes et parfois le public voyageur. Dans ce passage à vide, la force de Boeing est de s’être développé à la fois sur l’aéronautique civile et militaire. C’est cette double compétence qui lui a permis de devenir le géant qu’il est aujourd’hui et certainement ce qui lui a permis de ne pas sombrer totalement. La seconde guerre mondiale marque son essor, avec notamment le B-17, l’un des bombardiers américains les plus connus, et le B-29, entré dans l’histoire en larguant deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945. Boeing se construit avec une réputation d’industriel sérieuse. L’entreprise fait même de sa fiabilité un slogan, qu’elle commercialise toujours aujourd’hui sur des badges et des tasses à café.
Jusque dans les années 90, l’avionneur américain n’a pas réellement de concurrent. La montée en puissance d’Airbus va évidemment changer la donne, mais le problème n’est pas là. L’année qui a scellé le destin de Boeing, c’est 1997. Le 15 décembre 1996, après des mois de supputations, Boeing et McDonnell Douglas, un constructeur aéronautique américain, annoncent leur fusion pour un montant de 13,3 milliards de dollars. Du jamais vu dans le monde de l’aéronautique ! C’est pourtant cette acquisition qui va sceller le début du déclin de Boeing, car McDonnell Douglas apporte non seulement ses technologies, mais surtout sa culture d’entreprise.
Dans un article de 2014 publié dans la Harvard Business Review, le professeur Gautam Mukunda, qui enseigne aujourd’hui à l’université Yale, décrit bien le choc des cultures entre les deux entreprises : « Avant sa fusion de 1997 avec McDonnell Douglas, Boeing avait une culture axée sur l’ingénierie et avait l’habitude de miser sur des investissements audacieux dans de nouveaux avions. McDonnell Douglas, en revanche, était peu enclin à prendre des risques et se concentrait sur la réduction des coûts et les performances financières, et sa culture a fini par dominer l’entreprise. » Autrement dit, à partir de 1997, la maximisation des profits prend le dessus sur l’ingénierie.
Les financiers avant les ingénieurs
Entre 2014 et 2018, par exemple, alors qu’il développe le 737 MAX, Boeing préfère choyer ses actionnaires plutôt que d’investir : le groupe débourse 39 milliards de dollars en dividendes et rachats d’actions sur la période, pour moins de 11 milliards d’investissements. Cette chasse aux coûts a des conséquences directes : lorsque le 737 MAX sort en 2017, Boeing fait tout pour faire croire qu’il ne s’agit là que de la version allongée du 737, et pas d’un nouveau modèle d’avion. La raison est simple : engager un processus de formation et de qualification des pilotes sur un nouveau modèle serait extrêmement coûteux, car cela implique leur immobilisation au sol, et de nombreuses heures de simulateur de vol. Sauf que l’avion est assez profondément modifié. L’étirement de la cellule oblige à changer la position des moteurs et l’appareil a une tendance à se cabrer. En 2018 et 2019, deux accidents mortels successifs vont montrer de manière dramatique que les pilotes sont insuffisamment formés au nouvel appareil.
Un changement de culture à double tranchant
L’impact du changement de culture chez Boeing est devenu un véritable cas d’école. Il est également très perceptible si l’on regarde la composition de son conseil d’administration. Dans un article paru en 2023, Christine Marsal, maître de conférences à l’université de Montpellier, fait les comptes : « La composition du conseil d’administration fait apparaître un lent mouvement de bascule entre 1997 et 2020. Les ingénieurs, qui formaient 54 % du conseil d’administration en 1997, ne représentent plus que 23% des membres en 2020. Dans le même temps, on note une montée en puissance des formations en gestion et en finance : ils sont 61,5 % en 2020, contre 23% en 1997. » Aujourd’hui, le retour d’un homme de technique aux manettes de Boeing (Robert “Kelly” Ortberg) est un indicateur important du retour aux sources de Boeing.
Poursuivi en justice par des actionnaires mécontents, Boeing transige en 2021 et accepte de nommer au moins un expert en sécurité au sein du conseil d’administration. Mais les dégâts sont déjà là. En janvier 2024, Bank of America abaisse la recommandation du titre. Elle estime que « les prouesses techniques de Boeing se sont émoussées en raison d’une obsession pour les indicateurs financiers gonflés par la réduction des coûts et la génération de flux de trésorerie ». Pour remonter durablement la pente, Boeing n’a d’autre choix que de se remettre en question. Ce que l’avionneur fait sous le regard paternaliste de la FAA depuis de trop longs mois.
La ressource après le décrochage Boeing n’est pourtant pas totalement terminée. Outre les dettes accumulées, l’industriel continue de faire face à des retombées réglementaires et juridiques importantes. Cela englobe des pénalités financières proposées par la FAA elle-même, pour diverses violations de sécurité, et plusieurs enquêtes pénales ouvertes par le ministère de la Justice. Dans le sillage de la crise « Boeing 737MAX », l’avionneur emporte aussi le projet du Boeing 777X. Le 777X pâtit effectivement d’un parcours de certification ralenti (règles/contrôles plus exigeants post-MAX) et de couacs techniques en essais (attache motrice en 2024, aléas GE9X, incident statique 2019), résultats de négligences de
l’industriel. Pour l’heure, le calendrier a glissé à 2027 pour le 777-9, 2028 pour le 777-8F, avec des impacts financiers encore très lourds et des clients qui doivent s’adapter.
Jean-François Bourgain, le 01/11/2025 pour AeroMorning










Be the first to comment on "La ressource de Boeing après la chute libre industrielle"