On nous annonce désormais que l’aviation future sera électrique, ou qu’elle brulera de l’hydrogène, ou qu’elle ne sera plus ! Est-ce vrai ? Dans quels délais ? N’y a-t-il que ces deux hypothèses, ou d’autres pistes apparaitront ? L’avion ou les aéronefs resteront-t-ils les véhicules du futur pour se déplacer et parcourir le monde ? Difficile de savoir.
Comme je l’ai écrit dans une précédente chronique, il est vraisemblable que dans un premier temps les gros avions, les moyens et longs courriers utiliseront de plus en plus de carburants de substitution, les SAF, non fossiles, déjà utilisables en proportion de 50% dans les moteurs que nous connaissons et à 100% bientôt moyennant de modestes modifications. Mais l’hydrogène. Pour en disposer et le produire, il faudra des sources d’énergie électriques considérables, et les sources solaires et éoliennes ne suffiront sans doute pas pour fournir tous les besoins et activités de mobilité sur la planète.
On en revient donc au besoin de l’énergie nucléaire. Quand aux avions électriques, s’ils disposent de batteries d’un poids enfin raisonnable, pour une énergie fournie suffisante, (ou de piles à combustibles légères) il leur faudra beaucoup d’électricité. Mais l’énergie nucléaire a ses détracteurs : déchets de haute activité à vie longue, stockage contesté de produits résiduels, craintes des accidents produisant des cas de contamination, comme à Fukushima, ou d’irradiation comme à Tchernobyl.
S’il est vrai que les morts du nucléaire sont très peu nombreux en 70 années d’usage, et tout particulièrement comparés à ceux des mines de charbon et toute les autres activités humaines, il existe une fantasmagorie du nucléaire assimilé à l’image de l’arme nucléaire, alors que les deux sont sans rapport. Les recherches effectuées depuis des décennies ont démontré, depuis la première divergence, que la piste de la fission, en production depuis l’après guerre serait très avantageusement remplacée par celle de la fusion nucléaire, beaucoup plus complexe. Mais avec un seul gramme de Deutérium et de Tritium, isotopes de l’hydrogène, on serait capable de produire l’équivalent de 8 tonnes de pétrole. (Les isotopes ont les mêmes propriétés chimiques mais diffèrent dans la composition de leur noyau atomique. Exemple : hydrogène : 1 proton ; deutérium : 1 proton, un neutron : tritium : 1 proton, 2 neutrons…)
Seulement voilà, il faut parvenir à des températures 10 fois plus élevées que celle du soleil pour parvenir à fusionner des atomes d’isotopes d’hydrogène.
La « Machine » pour y parvenir, existe à titre expérimental à quelques exemplaires dans le monde. Son nom, attribué par les Russes est le TOKAMAK. S’il existe de très nombreux tokamaks dans le monde, un seul (ITER) va permettre de mettre en œuvre les « vrais » combustibles de la fusion (D & T). Tous les autres produisent des plasmas « non-nucléaires » (hydrogène, hélium, Deutérium seul) dont on extrapole les résultats pour anticiper ceux d’un plasma D+T. En fait, on peut dire que tous les tokamaks explorent la physique des plasmas tandis qu’ITER, lui, est conçu pour générer de l’énergie.
Mais aucun ne parvient à des résultats probants et à l’échelle du besoin. Toutefois l’apport des « autres » tokamaks et très précieux, et sur le plan de la recherche, leurs résultats sont au contraire très probants. La fusion ne produit pas de déchets de haute activité à vie longue. Au pire, pour de faibles quantités, 80 ans, contre des millions d’années pour certains déchets de la fission. Les risques d’accident « nucléaires » sont nuls. Mais on manie des températures astronomiques : 150 millions de degrés pour produire le plasma, (conservé en lévitation car aucun contenant n’existe) et -269 degrés pour l’enveloppe qui contient ce plasma. -269 ° C (4°K), c’est la température à laquelle les aimants supraconducteurs doivent être refroidis. Il s’agit de créer une étoile. Et de faire coexister ce qui n’existe pas dans la nature ! Quand au combustible, l’hydrogène, il est disponible à l’infini, et il en faut peu. Un ordre de grandeur : la production annuelle de 1 gigawatt de puissance électrique requiert 10 millions de tonnes de charbon dans une centrale thermique et 350 kilos d’hydrogène dans une centrale de fusion.
C’est cela ITER. Lancé en 2006. Le Tokamak d’ITER à Cadarache* est constitué d’un ensemble de bobines, (d’aimants), et d’appareils gigantesques, parfois larges de 30 mètres et hauts jusqu’à 60 mètres … Un projet mondial, Sept membres : USA, Russie, Japon, Inde, Corée du Sud, Chine, Europe (+ Royaume Uni et Suisse), regroupant 35 pays. Ils représentent 50 % de la population mondiale et 85 % du PIB mondial. C’est l’énergie du futur. Mais on ne sait pas encore si on parviendra à développer ces machines, qui seront le cœur des futures centrales de production. Elles pourront être, si besoin, bien plus puissantes que celles que nous connaissons (1,6/2GW). Et plus propres encore. Sans aucun rejet de GES, bien sur.
ITER est une organisation internationale, comme l’ONU, qui a ses lois, ses règles, ses procédures, établies en accord avec les pays participants. Le choix du site expérimental s’est porté sur la région de Cadarache, en France, pour l’espace, le savoir faire local, la présence de sources d’énergie nécessaires (autant qu’une ville de 3 millions d’habitants), et l’eau, proche, pour le refroidissement. Et la France, juste concurrencée par le Japon pour le choix du site, a fourni les équipements nécessaires (Aménagement de l’itinéraire de transport des pièces depuis Fos-sur-Mer, création d’une école internationale pour les enfants des personnels d’ITER) pour l’emporter. Une manne en matière d’acquisitions de technologies et d’emplois. Cette organisation récupère les ensembles produits dans les 35 pays participants, assemblés au final pour la Machine de Cadarache. En 2026 on espère produire les premiers plasmas à la faramineuse température. Puis en 2035 les 850 m3 de plasma nécessaires à la confirmation** des capacités de fusion, donc de production d’électricité à grande échelle. Là, si tout va bien, chaque nation participante pourra s’approprier*** les savoirs développés et construire ses propres prototypes, puis ses propres centrales. Cela nous conduit au-delà des années 2050, Un vrai projet à très long terme de presque toute l’humanité et au profit de toute l’humanité. Car rien n’est secret ! Tout est ouvert et public. Ce serait comme une Tour de Babel qui irait au succès…. Enfin ! Vu la dimension du projet, c’est bien mythologique et astronomique….A voir absolument. Et sinon, lire sur le site internet www.iter.org tout ce qui compose ce programme exceptionnel.
Michel Polacco pour AeroMorning
*Il y a deux tokamaks à Cadarache : celui du CEA, beaucoup plus petit qu’ITER, l’ancien Tore Supra, devenu WEST et qui, en quelque sorte, sert de « banc d’essai » pour certains des matériaux et des systèmes d’ITER. Tore Supra ne fait pas d’expériences « nucléaires », son volume de plasma est de l’ordre de 20 m3 quand celui d’ITER sera de 850 m3.
** 2035, c’est le début des expériences nucléaires avec le « combustible » D+T. Mais ITER n’a pas été conçu pour produire de l’électricité : c’est une installation de recherche. Produire de l’électricité à partir de la source de chaleur ne pose pas de problème : c’est le même principe (vapeur, turbine, alternateur) pour toutes les centrales, qu’elles soient au gaz, au charbon, au pétrole ou nucléaires.
*** C’est le principe au cœur d’ITER : les membres ont accès à la totalité de la propriété intellectuelle (industrielle, technologique et scientifique) issue de la construction et de l’exploitation de l’installation.