René FOURNIER, 100 ans le 14 avril 2021 est le dernier témoin et acteur de la renaissance de l’aviation française d’après-guerre. Il appartient à cette famille de créateurs et d’entrepreneurs passionnés par le vol, seul survivant d’une épopée qui a profité à toute l’aviation, tant en matière de formation que d’évolution des techniques vers plus de respect de l’environnement, de l’économie des énergies fossiles, et de réduction de toutes les pollutions.
Sa vie ponctuée d’évènements heureux et moins heureux est un livre qu’il a écrit en 2003, « Mon Rêve et mes combats ». Passionnant et à lire absolument. Un modèle pour tous les futurs aviateurs et avionneurs. Que l’on se prépare à une carrière civile ou militaire, au sol ou en vol, on y trouve l’humilité et l’acharnement. La persévérance et la recherche de la perfection. Ainsi, l’on découvre que René Fournier illustre malgré lui le dicton selon lequel « nul n’est prophète en son pays ». Cette aviation des derniers pionniers qu’il incarne aujourd’hui, (centenaire !), ne semblait pas, au départ, être une vocation. Elle le fut ô combien et passionnément. Il est le digne collègue de nos brillants disparus : Joly et Delemontez, créateurs de Jodel, Auguste Mudry, créateur des avions de voltige réputés, le CAP (Cap 10/20/21 etc.), Pierre Robin, créateur des DR et HR, qui ont formé des générations de pilotes civils et militaires également, et l’on peut citer les Claude Piel, Roland Payen, etc ….
Ce texte a été écrit avec mes amis et collègues François Aubry et Christian Ravel, membres de l’Académie de l’Air et de l’Espace. Il a été ensuite corrigé par René Fournier lui-même !
René Fournier devant le RF-3 n° 16 F-BLXE (Amboise Dierre Mai 2016)
Né le 14 avril 1921 à Muides-sur-Loire, René Fournier se consacre longtemps à des activités artistiques : la poésie et le violon, mais surtout le travail de la céramique. Les planeurs l’attirent. Il passe ses brevets, le 15 octobre 1942 (pour le type B) et le 24 octobre 1947 (pour le type C), ce qui l’entraine à inventer et imaginer et dessiner la même année un avion hybride original : l’avion planeur. En 1951, il offre une de ses œuvres, une coupe en céramique, comme trophée au rassemblement RSA à Montargis. Il décide alors de construire l’avion qu’il a inventé.
Après son passage par l’Ecole des mécaniciens de l’Armée de l’air à Rochefort, c’est sur le terrain qu’il apprend son nouveau métier, reprenant un demi-siècle plus tard le chemin des Farman, Voisin et autres Blériot. En 1957, un directeur d’hôtel de Cannes, monsieur Borello, met à sa disposition une annexe de son établissement où il va construire un prototype qui effectuera son premier vol le 30 mai 1960, piloté par Charles Fauvel (pionnier de l’aile volante, 1933).
Fabriqué dans un atelier de fortune, fait en bois et toile, avec un moteur de Coccinelle Volkswagen, le RF 1 vole à 150 km/h pour une consommation de 8 litres par heure. Hélas, un an plus tard, lors d’un meeting à Dijon il est irrémédiablement endommagé.
Pour passer du prototype à la construction en série, René Fournier doit quitter Cannes et rechercher des financements. Il s’associe alors à Antoine Van der Voot d’Assche, aristocrate belge qui possède une usine à Gap-Tallard, centre réputé de vol à voile des Hautes Alpes qui subsiste de nos jours. Son objectif est de fabriquer le RF2, visant un public jeune.
Le RF-2 vole en 1962. Avec 30 litres d’essence il vole 6h42, mais ne sera construit qu’en deux exemplaires, dont un subsiste au Musée de l’air du Bourget. Le RF-3, attraction du Salon du Bourget 1963, sera commercialisé avec une série de 88 avions, dont un exemplaire volera jusqu‘au Tchad. Son concept original d’avion hybride, ni planeur ni avion, n’entre dans aucune des catégories répertoriées à l’époque. En conséquence, il ne bénéficie pas des subventions ou des primes que l’Etat distribue pour encourager la renaissance de l’aviation française. Cherchant à développer une nouvelle famille d’aéronefs, comme tout autodidacte, il manque totalement de relations et donc de soutiens financiers. Il doit à nouveau innover.
Son objectif suivant est un avion de voltige qui sera le RF-4. Le RF-4 est une version évoluée du RF-3, disposant d’un potentiel voltige élémentaire. De là, il tira le biplace RF-5 (toujours bois et toile). Les Etats-Unis lui font des offres intéressantes mais il ne veut pas s’éloigner de la France et c’est l’Allemagne, qui est depuis longtemps une référence en matière de vol à voile, qui emporte sa préférence. Il laisse à Gap la société Alpavia et autorise la construction de ses avions sous licence en Allemagne par la « Société européenne Sportavia » créée par Alphons Pützer. René Fournier se heurte cependant à de nombreux obstacles administratifs et la commercialisation de ses produits est difficile.
Mira Slovak, pilote de Continental Airlines, décolla de Bonn, en Allemagne le 7 mai 1968 en RF4. Il gagna par étapes Reykjavik, Kulusuk au Groenland, Cape Dyer au Canada, Québec, et Santa Paula, près de Santa Monica, en Californie. Malheureusement l’appareil a été plaqué au sol par un rabattant peu avant l’atterrissage, mais la performance est remarquable. Cet appareil est conservé au Museum of Flight de Seattle. Mira Slovak effectuera le trajet inverse sur un autre RF-4 l’année suivante.
Dans les années soixante, avec quinze ouvriers, il fabrique au mieux cinq avions par mois. La fidélité de son équipe dans l’adversité et celle de son pilote d’essais Bernard Chauvreau* en particulier, constituent ses forces.
Sa famille d’avions, caractérisés par leur finesse aérodynamique et leur élégance, s’agrandit progressivement. Avec le RF-5 en 1968, version biplace du RF-4 alors que cet avion est interdit de voltige en France… sauf sous son immatriculation allemande. Avec le RF-6 ensuite, triplace produit en 1973 et testé par Klaus Kruber, pilote maison en Allemagne. La crise pétrolière met fin à l’aventure allemande de René Fournier.
En 1969, appuyé par le général René Gavoille, l’ancien et célèbre compagnon et instructeur de Saint-Exupéry, René Fournier obtient un appui de l’ingénieur général Bonte pour la construction d’un avion-planeur biplace en métal, le RF-8. Construit par Indraéro à Argenton-sur-Creuse, cet avion effectue son premier vol le 19 janvier 1973. Les financements manquent pour une construction en série. Cet unique exemplaire rejoindra le Musée Espace Air-Passion (à Angers-Marcé) en 2013. René Fournier revient définitivement en France, à Nitray (Indre-et-Loire) et hypothèque tous ses biens pour réaliser le RF-6B, le biplace école de ses rêves qui vole enfin le 12 mars 1974. (J’ai beaucoup aimé voler sur cet avion qui était habilité à la voltige 1er cycle). Il fonde sa propre société, « Avions Fournier », et produit 45 RF6B.
Plus de 1000 avions RF ont été produits, surtout à l’étranger, Allemagne, Espagne, Brésil, (l’Allemagne en fera aussi des dérivés), et en Angleterre par la firme Slingsby. Dans les années 90, René Fournier rencontre André Daout qui vient de créer Arc Atlantic Aviation, et qui financera la construction de son dernier modèle, le RF-47, fabriqué chez Euravial à Epinal en 1999.
Mais il ne faut pas oublier des appareils qui ont prolongé son œuvre comme les RF-9 et RF-10 dont certains ont été construits au Brésil. De très beaux appareils auxquels il n’a manqué qu’un financement pour qu’ils deviennent des productions françaises à succès.
Personnalité marquante de l’aéronautique, René Fournier vit près d’Amboise ; il a publié ses mémoires en 2003, « Mon Rêve et mes combats », qui a reçu le Prix des Vieilles Tiges l’année suivante. Un Club Fournier international réunit chaque année depuis 1989 les propriétaires et les passionnés d’avions RF.
Précurseur de l’aviation verte, privilégiant la finesse sur la puissance, européen de toujours, René Fournier a été en avance sur son temps en luttant pour des valeurs que l’on redécouvre. Nous pouvons lui souhaiter un bel et heureux anniversaire, même s’il a personnellement décidé, cause Covid19, d’attendre 2022 pour faire la fête avec tous ses amis et admirateurs ! Et qui sait, quelques une de nos institutions aéronautiques penseront-elles à l’honorer d’ici-là ?
Michel Polacco.
Avec François Aubry et Christian Ravel.
Liens :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Motoplaneur
https://www.aerovfr.com/2015/06/les-vols-impunis-de-bernard-chauvreau/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Roland_Payen
https://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Mudry_(avionneur)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Robin_(ing%C3%A9nieur)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Piel
https://www.museeairespace.fr/
https://www.musee-aviation-angers.fr/
*Bernard Chauvreau : Il était une foi mes ailes, France Empire, 1981 et Vols impunis, 2015