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Entretien avec Patrick Michel

@esa
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Entretien avec Patrick Michel, investigateur principal de la mission Hera

25/09/2020 152 views 4 likes ESA / Space in Member States / France

La première mission de défense planétaire de l’ESA, Hera, est en cours de développement par un consortium d’industriels européens suite à la signature du contrat de 129,4 millions d’euros attribué mi-septembre 2020. Cette ambitieuse mission est la contribution européenne à AIDA, une collaboration internationale de défense planétaire entre des scientifiques européens et américains.

Le véhicule spatial DART de la NASA, qui doit décoller en juillet 2021, effectuera un impact cinétique sur Dimorphos, une lune de 160m de diamètre en orbite autour de Didymos, un astéroïde de 780m de diamètre. Hera aura la délicate tâche d’effectuer une étude détaillée post-impact afin de transformer cette expérience à grande échelle en une technique de déflexion d’astéroïde maîtrisée et reproductible. 

Patrick Michel, investigateur principal de la mission Hera

Patrick Michel est l’investigateur principal de la mission Hera (Principal Investigator – PI en anglais), ou en d’autres termes, le responsable de l’équipe scientifique de la mission.

Né à Saint-Tropez, Patrick Michel est ingénieur en aéronautique et techniques spatiales et docteur en astrophysique (1997); sa thèse portait sur l’origine et la dynamique des astéroïdes qui croisent la trajectoire de la Terre. Après un post-doctorat de deux ans à l’Observatoire de Turin sur une bourse de l’Agence Spatiale Européenne pour étudier la physique des collisions entre astéroïdes, il a passé avec succès le concours de recrutement au CNRS, où il est maintenant directeur de recherche et responsable du groupe de planétologie du laboratoire Lagrange à l’Observatoire de la Côte d’Azur. 

Quel a été le parcours qui vous a mené jusqu’à ce rôle d’investigateur principal de la mission Hera ?

 « J’ai été sollicité au début des années 2000 par l’ESA pour faire partie de NEOMAP, le Groupe consultatif pour les missions spatiales sur les objets géocroiseurs avec cinq collègues européens. C’est ce comité qui a recommandé la mission appelée à l’époque Don Quijotte, qui consistait à faire un test de déviation d’astéroïde et qui est à l’origine d’Hera. Au début des années 2010, un collaborateur américain et moi-même avons eu l’idée de prendre comme cible un astéroïde double et de proposer que la NASA et l’ESA coordonnent des activités. J’ai donc été impliqué depuis le début dans ces aventures et participé activement – et avec joie et persévérance ! – aux efforts qui ont permis à ce beau projet de finalement se concrétiser. »

Impact de la sonde DART de la NASA sur l'astéroïde Didymos (vue d'artiste)

« Bien sûr, un tel succès ne repose jamais sur les épaules d’un seul individu et c’est vraiment le fruit des efforts, pendant presque vingt ans, de toute une équipe, voire d’une communauté, qui au final, paye et nous donne même l’impression d’appartenir à une grande famille de passionnés. Il règne ainsi une atmosphère vraiment extraordinaire dans l’équipe Hera, qui permet d’affronter les difficultés auquel un tel projet est confronté avec toute l’énergie et la confiance nécessaire, ce qui est essentiel. Je tiens d’ailleurs à remercier à l’ESA Franco Ongaro qui a initié ces aventures avec la création de NEOMAP et pour sa disponibilité Ian Carnelli, chef de mission Hera pour l’ESA, qui a aussi été de tous les combats depuis NEOMAP, et qui a fait un travail incroyable au sein de l’ESA pour que cette mission se concrétise, tout cela au service de la communauté scientifique et de la défense planétaire. Le spatial nécessite beaucoup de sacrifices, de patience, d’accepter momentanément de grandes frustrations sans pourtant se décourager. Et quand ça passe, on oublie presque tout ça ! »  

Quels sont les différents laboratoires français qui sont impliqués dans la mission Hera, et sur quoi travaillent-ils ?

« En France, le laboratoire Lagrange (UMR 7293 CNRS) de l’Observatoire de la Côte d’Azur auquel j’appartiens a donc la responsabilité scientifique de la mission. Dans les membres de l’équipe Hera, Benoît Carry, un autre membre du laboratoire Lagrange, co-dirige le volet observations de l’astéroïde Didymos depuis les télescopes terrestres. »  

Le CubeSat Juventas, équipé d'une version améliorée du système radar embarqué à bord de la mission d’étude de comète Rosetta de l’ESA (vue d'artiste).

« Alain Hérique, du laboratoire IPAG de l’Université de Grenoble Alpes, fait partie des meilleurs experts au monde de la technique radar pour la caractérisation interne des petits corps. Il fournit donc l’expertise radar pour la conception du radar à bord du CubeSat Juventas qui va effectuer la première mesure directe de sous-surface et interne d’un astéroïde, ce qui est extrêmement enthousiasmant ! Le CNES soutient notamment cette activité en étant associé aux opérations de ce CubeSat. »

« Les autres membres d’instituts français de l’équipe Hera sont Naomi Murdoch de l’ISAE-Supaéro qui co-dirige les activités liées à l’analyse des données d’Hera et Sébastien Charnoz de l’Institut de Physique du Globe de Paris qui co-dirige les études des propriétés physiques et dynamiques de l’astéroïde Didymos. »

« De plus, nous avons plusieurs Français qui appartiennent aux équipes principales des groupes de travail qui soutiennent le développement d’Hera. Il y a donc de nombreuses compétences et une forte motivation de la communauté française experte des petits corps pour soutenir le développement d’Hera, et le CNES soutient certaines de ces activités. »   

Quels sont les défis liés à une collaboration internationale d’une telle ampleur ?

« Je ne vois qu’un défi à une telle collaboration. Mais avant de parler de défi, je tiens à souligner que l’ampleur de cette collaboration est l’une des composantes d’un tel projet qui me passionne et qui est fortement nécessaire. »

Hera scanne Didymos (vue d'artiste)

« En effet, l’une des richesses de la mission Hera – et des missions spatiales d’exploration en général – est sa forte multi-disciplinarité. Les données que nous cherchons à obtenir grâce à Hera, qui répondent aux objectifs de défense planétaire, mais aussi scientifiques, couvrent un nombre de domaines incroyable qui vont de la géologie à la physique des impacts, en passant par l’étude des milieux granulaires sur une surface à faible attraction – celle de l’astéroïde -, l’interprétation des données spectrales qui donnent accès à la composition de l’astéroïde, l’interprétation des données radar pour la structure interne et des liaisons radios avec la Terre qui nous permettent d’avoir avec précision la trajectoire de notre sonde, et ainsi la masse de l’astéroïde qui perturbe de façon infime mais mesurable cette trajectoire. Et je passe les expertises techniques en termes d’instrumentation spatiale, d’opérations… et bien sûr l’interface nécessaire avec l’ESA et les industriels en charge de la fabrication du satellite ! » 

Une équipe internationale pour cette première mission de défense planétaire de l'ESA

« Tout ce travail s’effectue dans un environnement culturel qui est une autre richesse vu le nombre de pays impliqués. Expérimenter différentes méthodes de travail, différentes cultures qui nécessitent d’adapter aussi ses codes de communications pour bien se faire comprendre et ne pas faire d’erreur diplomatique apporte énormément à sa propre expérience et à l’esprit collaboratif. »

« S’il y a un défi, c’est de s’assurer qu’il y a une bonne synergie entre toutes ces activités et expertises. En effet, les connaissances que l’on cherche à obtenir reposent sur la mise en relation de différentes données produites par différents instruments, et sur leur interprétation qui repose souvent sur plus d’un domaine scientifique et donc sur plus d’une expertise. A ce propos, la commission Européenne finance dans son programme H2020 le consortium NEO-MAPP que je coordonne dont l’un des objectifs est de proposer une nouvelle approche synergique et multi-instrumentale pour analyser les données d’Hera. »  

« En résumé, cette collaboration d’une telle ampleur, qui n’est que du bonheur, est incontournable, et nous avons les moyens et faisons tous les efforts nécessaires pour relever ce défi qui est d’assurer une belle synergie entre les différentes composantes de la mission pour produire un maximum de connaissances au service de la défense planétaire et en bonus, de la science. »

Hera, une mission pour faire rêver et non faire peur

Hera aux environs de Didymos, un système de deux astéroïdes géocroiseurs (vue d'artiste). La collision d'un astéroïde avec la Terre est aujourd'hui la seule catastrophe naturelle que l'on pourrait à la fois prévoir et éviter.

Quel moment de la mission attendez-vous avec le plus d’impatience ?       

« Cette mission va effectuer le premier rendez-vous avec un astéroïde double et nous fournir des données détaillées de sa petite lune. Comme toujours dans les missions qui nous amènent vers de nouveaux mondes, j’attends avec impatience les premières images ! C’est dans ce genre de moments, quand les premières images arrivent et qu’on est les premiers à les découvrir, qu’on se sent de véritables explorateurs, comme ceux qui avant l’ère spatiale, allaient à la découverte de nouveaux continents. »    

« J’ai déjà eu l’immense chance de vivre de tels moments avec quelques missions spatiales vers des petits corps auxquelles j’ai participé, comme Hayabusa2 de la JAXA et OSIRIS-REx de la NASA, et aucun mot ne peut vraiment décrire l’émotion qu’un tel moment génère. De plus comme à chaque fois jusqu’à présent, je m’attends à d’énormes surprises et donc à pousser encore un cri d’enthousiasme, et j’espère, d’incompréhension ! C’est aussi dans ces moments-là que l’on découvre si on a la personnalité d’un chercheur déçu ou heureux de s’être trompé sur ses hypothèses, et dans le spatial, il vaut mieux être dans le deuxième cas ! »     

Si la mission devait vous réserver une (belle) surprise, laquelle serait-elle ?

« Je suis vraiment curieux de deux choses: quelle va être la taille du cratère produit par l’impact de la mission DART de la NASA et quelle est la structure interne d’un bout de caillou – Dimorphos – de 160 mètres de diamètre ? Les réponses à ces deux questions sont essentielles pour la défense planétaire. »

L'impact cinétique de DART le 30 septembre 2022 laissera un cratère à la surface de Dimorphos - mais de quelle taille ? La collision sera observée depuis la Terre au moyen de télescopes et Hera prendra ensuite le relais, in situ.

« Concernant la taille de cratère, j’espère avoir une surprise, car une petite expérience d’impact effectuée par Hayabusa2 en Avril 2019 sur l’astéroïde Ryugu – un projectile de 2kg lancé à 2 km/s – a produit un cratère dont la taille était bien plus grande que celle prédite. Nous avons peut-être compris pourquoi mais rien n’est sûr, donc on peut lancer les paris sur la taille du cratère que produira DART ! »

« Cette expérience est fondamentale pour vérifier notre compréhension de la physique des impacts sur les astéroïdes qui est au cœur de la technique de déviation que l’on va tester mais aussi de la formation et de l’évolution du Système Solaire. Par ailleurs, nous avons de gros débats sur la structure interne d’un tel petit corps, et Hera permettra de trancher ce débat qui a de nombreuses implications. » 

« Mais s’il y avait une belle surprise, ce serait qu’il continue à y avoir un échange de matière entre le corps central Didymos et la petite lune Dimorphos… »

Hera et Dimorphos (vue d'artiste)

« Didymos tourne en effet sur lui-même en 2h26, donc très rapidement. Imaginez-vous assister toutes les heures à un lever ou un coucher de Soleil ! Or, d’après des modélisations effectuées par ma post-doctorante Yun Zhang (bourse de l’Université Côte d’Azur), selon le niveau de cohésion du matériau à la surface de Didymos, si ce niveau est très faible – c’est-à-dire si le matériau n’est pas attaché ou collé à la surface -, la force centrifuge vers l’équateur de l’objet est suffisante pour qu’il s’échappe de la surface. »

« L’un des scénarios de formation d’une lune d’astéroïde repose d’ailleurs sur ce mécanisme: le corps tourne très vite sur lui-même, du matériau s’en échappe et se réagglomère pour former une lune. Donc, si on peut observer du matériau qui s’échappe, cela confortera ce scénario et nous permettra aussi d’observer un système d’astéroïdes en pleine activité, ce qui serait totalement extraordinaire et encore plus riche en nouvelles connaissances. Il faudrait simplement faire attention que cela ne pose pas un risque à la sonde Hera et à ses CubeSats. La sonde OSIRIS-REx, qui doit en plus se poser pour prendre un échantillon, observe de l’éjection de matière de l’astéroïde Bennu; la NASA a su gérer, je fais parfaitement confiance à l’ESA pour savoir gérer ce genre de – belle – surprise ! »  

Source: ESA