www.aeromorning.com Juillet 2020
Ce 25 juillet nous avons commémoré le si triste accident du Concorde F-FBTSD à Gonesse, juste après son décollage de Charles de Gaulle avec 100 passagers à bord, la plupart allemands et 9 membres d’équipages, dont nos amis pilotes et hôtesses ou stewards. Un choc d’une inouïe violence qui a par là même condamné le Concorde, même s’il a pu revoler quelques mois jusqu’à ce que la seconde guerre du Golfe le remise définitivement.
Nous n’oublions pas le professionnalisme de ses pilotes et du mécanicien navigant, désarmés devant l’imparable blessure causée à l’avion en feu. Michelin avec son nouveau pneu NZG, Near Zero Growth, ne provoquant que de petits débris de gomme, et le revêtement interne en kevlar des réservoirs pour limiter l’ampleur de fuites, installé par de jeunes et lestes techniciens, ont permis la reprise des vols le 7 novembre 2001, à peine un an après le drame. J’étais à bord de ce vol mémorable sur New-York, où nous fûmes accueillis avec chaleur, notre commandant en tête, Edgard Chillaud, par le maire Giuliani de la métropole martyrisée par les attentats du 11 septembre précédent. Concorde marquait ainsi par son retour une renaissance à la vie après tant de morts. New-York aimait Concorde. Et nous aimions New-York.
Mais Concorde était une dame âgée. En vol depuis plus de 30 ans en 2000. En ligne depuis 1976. Construit en juste 14 exemplaire de série, incapable d’engendrer ou de financer une modernisation, une évolution, assurant une relève supersonique au transport aérien civil. Concorde a du cesser ses vols, pour British Airways comme pour Air France en 2003, noyé par la crise provoquée par la seconde Guerre du Golfe. Arrivé au bout de ses capacités dans un monde aéronautique si sophistiqué et si sûr, il a ainsi clos une ère unique dans l’histoire : 4 millions de citoyens civils en costume ont grâce à lui connu le frisson du vol à Mach 2, sans combinaison anti-g ni masque à oxygène. C’est fini. Comme la présence de l’homme sur la Lune avait cessé en 1972, avec Apollo 17. Pour la seconde fois dans l’histoire de l’humanité l’histoire faisait marche arrière. Le transport de masse, à coût réduit avait pris le pas, laissant la place définitivement aux gros porteurs.
Après Concorde devait-il y avoir un nouveau supersonique ? Evidemment non ! Trop cher, trop bruyant, trop vorace en pétrole, comme toujours, et c’est normal, c’est l’économie, la sécurité et l’environnement qui ont gagné. L’accident pouvait-il être évité ? Il eut fallu pouvoir disposer de dispositifs d’alerte et de caméras extérieures, c’était trop tôt. De pneus plus performants et résistant. Encore trop tôt. Il aurait fallu le moderniser pour le rendre compatible avec les nouvelles réglementations. Impossible pour si peu d’avions de faire de tels investissements. Ce symbole d’une époque où l’on croyait pouvoir aller toujours plus vite, plus loin, plus haut était maintenu en vol car personne n’osait le mettre à la retraite. Cette cocarde de l’industrie et de la coopération franco-britannique était intouchable.
Et après. Un successeur, un Super Concorde aurait exigé une propulsion nouvelle et économe, il n’y en a pas encore.
Des capacités pour réduire le bruit, et le bang, on ne le sait toujours pas, et un prix de revient raisonnable pour être accessible à un plus grand nombre. C’est encore un rêve. Un rêve, pas sûr !
Le monde s’est transformé. A la vitesse s’est substitué en toute logique l’économie du carburant fossile, le respect de l’environnement et la réduction des rejets dans l’atmosphère de gaz à effet de serre. Ainsi, l’économie, l’environnement et la sécurité sont les marques du transport aérien moderne. Concorde s’est effacé devant les Boeing et les Airbus capable de porter 600 et même 853 passagers comme l’A380.
Etait-ce la solution ? Finalement non. Non plus. On a pu le croire pendant ces 20 dernières années. Mais subrepticement les passagers ont préféré les lignes directes de métropoles à métropoles, avec des appareils de taille moyenne, et boudé les « hubs »les grands centres de correspondance. Le segment des avions chéris tourne autour de 200 à 250 places. La crise du Covid 19 a marqué l’apothéose des géants : les superbes A380 qui n’ont pas 15 ans sont remisés, (mais ils voleront) et les célèbres Jumbo-jets, les Boeing B-747 sont à leur tour remisés. A ce jour moins de 75 B-747 sont encore exploités par quelques compagnies. Finis à Air France, KLM, Delta, British Airways, Qantas, etc. Nouvelle révolution qui voit naître les très longs courriers moyens porteurs comme l’Airbus A321 XLR, et s’ils revolent les B-737 Max Version -7).
Et le vol supersonique ? Quelques entreprises comme Boom, aux Usa, soutenues par la NASA, (ainsi que le X59 Lockheed Martin/NASA) annoncent leur prochain avion supersonique. Qu’en penser ? Les constructeurs d’avions d’affaires comme Dassault Aviation ont renoncé. Leurs passagers, mêmes milliardaires, choisissent des avions moins chers à exploiter, survolant sans bruit les terres habitées. Discrets. Souples d’emploi. Plus lents mais capables de vols longs et confortables. La technologie n’est pas là pour favoriser et vendre la vitesse. Alors quelles compagnies achèteront des appareils dont on ne sait aujourd’hui ni comment les propulser, ni les rendre silencieux, ni les rendre abordables financièrement. Boom vise mach 1.4, un bien faible gain si ils y parviennent. Avec quelques dizaines de passagers au mieux. Et quand ? Les dates annoncées sont sans cesse reportées. La question du Bang n’est pas résolue, donc le survol des terres. Le moteur n’est pas là. Et encore moins les passagers aux prix qui seront imposés.
Et que dire des annonces d’EADS, devenu Airbus qui annonçait Paris-Tokyo en 2h30 il y a quelques années ? Billevesées. Communication de marketing. Qui pourra exploiter des navettes spatiales pour transporter des passagers, car c’est ce que cela impliquerait ! Boeing a même renoncé au Sonic Cruiser qui devait toucher le mur du son pour le B-787 finalement subsonique.
Le tourisme spatial propose 5 minutes de vol suborbital pour 250.000 dollars. Quand ? Et pour qui. Quelques happy few. Et juste pour s’amuser.
Le supersonique n’est même pas victime du Plane Bashing, la honte de l’avion. Une ridicule mode. Il attend, peut-être pour longtemps, si ce n’est plus, une rupture technologique en matière de propulsion et d’aérodynamique dans laquelle personne n’investit vraiment en réalité. Il demeure l’apanage des avions militaires. Et encore, la vitesse des missiles supplée la vitesse des avions de combat.
L’avenir du transport aérien est assuré, en complément du train, de l’automobile, pour les liaisons qui désenclavent et pour les longues distance. Les humains ont encore besoin de se rencontrer, de découvrir leur monde, leurs civilisations. La Concorde ! L’avion, plus sûr que jamais, avec ses A350 et ses B-787, et leurs petits frères, montre sans cesse sa capacité à mieux respecter l’environnement, à être plus efficace et efficient. Il représente une des plus belles industries développées dans l’histoire de notre planète, une sorte d’aboutissement pour des rêves réalisés, avec sagesse et rigueur. Une inouïe richesse qu’il ne faut pas abandonner à d’autres.
Adieu Concorde, mon ami, qui aura marqué une étape spectaculaire et glorieuse dans cette fabuleuse histoire. Et qui sait, à demain, si c’est dans le ciel que l’on se déplacera encore dans les temps futurs.
Michel Polacco