Très révélateur le Livre Blanc que vient de publier la société de conseil Avascent car il confirme le rôle croissant que prennent les compensions industrielles qui vont de pair avec les ventes à l’exportation des entreprises aéronautiques non seulement militaires mais aussi commerciales.
Pour ce qui concerne la France, ce phénomène s’est encore confirmé par les tractations qui accompagnent la vente des avions Rafale de Dassault Aviation à l’Inde qui souhaite qu’une bonne part des appareils soit fabriquée en Inde. Même si le contrat remporté par DCNS auprès du gouvernement de Canberra n’a pas fait couler autant d’encre que celui de Dassault –qui demande encore à être finalisé-, force est de constater que le contrat sera exécuté en grande partie en Australie où DCNS est déjà implantée tout comme l’autre plus grand intervenant du programme de sous-marins : Thales. Le contrat d’un montant de 50 milliards de dollars australiens (34 Md€) porte sur 12 sous-marins dérivés du Barracuda, va faire travailler un nombre certain de personnes sur le territoire français. On estime à 4 000 le nombre de spécialistes qui seront mobilisés chez DCNS et ses sous-traitants, mais seuls 8 milliards de dollars seront dépensés en France. Le reste le sera en Australie et notamment à Adélaïde et ses environs où les sous-marins seront construits. Et ceci bien évidemment s’accompagne de transferts technologiques.
Défense aérienne ou navale, même combat serais-je tentée de dire. Et au risque de me répéter ces compensations industrielles dans le domaine de la défense ne font que reproduire ce que l’industrie aéronautique civile a largement mis en place ces deux dernières décennies.
Certes, des compensations pour des ventes de systèmes militaires à des gouvernements étrangers ont vu le jour depuis bientôt un demi-siècle. Les exemples sont nombreux et à ce titre rappelons celui qu’avait signé l’avionneur Dassault (connu alors sous l’acronyme AMD-BA pour Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation) avec la Grèce. En fait l’accord qui date de 1985 avait été aussi signé avec les Français Snecma (Safran Moteurs), Thomson (Thales) et Matra (Airbus Group). Il imposait aux partenaires de remplir une obligation de compensations sur 15 ans de 60 % du montant du prix de l’avion facturé à l’époque 7,1 milliards de francs français. Des compensations qui devaient prendre la forme de co-production, de projets d’investissement, de transfert de technologies, de promotion à l’export ainsi qu’une aide au développement touristique . Autant dire qu’à notre époque les gouvernements clients requièrent principalement sinon exclusivement des compensations industrielles et des accords de co-production à travers des co-entreprises sur leurs propres territoires, ce qui comme c’est le cas du contrat DCNS permet de soutenir ou créer des emplois en Australie puisque le chiffre de 5 000 postes a été avancé dans une région, celle d’Adélaïde, particulièrement touchée par le chômage.
Chacun pris séparément, les pays européens n’ont pas la puissance économique des Etats-Unis d’Amérique. Ce qui explique probablement, mais pas uniquement, que les industriels de la Vieille Europe ont été amené plus que d’autres à accepter de tels contrats liés à des compensations afin de vendre leur production et amortir leurs développements et chaînes de production. Quant aux pays de l’ex. Bloc de l’Est, ils étaient soutenus par des budgets de défense justifiés par la Guerre froide que se livraient justement les USA et l’ex. URSS.
Les dernières années, depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, avaient radicalement modifié la stratégie des grands industriels de la Défense. Cette industrie qui avait été porteuse d’affaires durant des décennies perdait des parts de marché qui furent difficilement mais sûrement remplacées dans le bilan des industriels par les secteurs de l’aviation civile. Jusqu’à ce que les ventes d’avions commerciaux prennent le dessus.
Aujourd’hui le secteur de la défense a du mal à jouer son rôle de contrepoids pour lisser les hauts et les bas de l’industrie aéronautique qui est cyclique presque par définition.
Or les tensions –en Mer ce Chine par exemple, les guerres larvées qui sévissent au Moyen-Orient, remettent les ventes d’armement sur le devant de la scène. Mais le secteur est devenu de plus en plus concurrentiel et les clients traditionnels ou historiques plus difficiles à convaincre.
Avascent explique que le Japon et l’Inde n’arriveront pas sur le marché international le premier pour des raisons culturelles, le second pour des obstacles bureaucratiques. Si, comme le rapporte notre confrère DefenseNews, Singapour et la Turquie possèdent certaines compétences, ils accusent un certain retard tandis que la Russie et la Chine qui possèdent chacun de réelles compétences à produire des produits de haute technologie, ils sont contraints à des règlements d’exportation draconiens par les nations de l’ouest.
Ce qui fait dire à Avascent que trois pays seulement se posent en réels challengers concernant les systèmes de défense. Israël avec ses compétences dans les missiles, les drones et les capteurs, la Corée du sud avec les sous-marins, les destroyers, les avions d’entraînements et les avions de combat ainsi que le Brésil qui propose des avions de surveillance.
L’étude s’applique donc à démystifier ces obligations de compensation sans lesquelles plus aucun contrat à l’export n’est possible. Ce qui pour Avascent passe par une maîtrise du processus et pour laquelle elle prône sept étapes incontournables afin de transformer des compensations, des coentreprises et des partenariats en de véritables « success story ».
Nicole Beauclair pour AeroMorning