La Chine souhaite produire ses moteurs d’avion
Il en va de la souveraineté nationale chinoise de se doter d’un motoriste qui puisse donner son indépendance à son industrie aéronautique civile tout autant que militaire. C’est chose faite avec AECC.
Car aujourd’hui encore la Chine qui a réussi à développer ses propres avions de transport civil avec le moyen courrier C919 ou l’avion régional ARJ21 a dû se tourner vers des constructeurs occidentaux pour leur trouver une motorisation.
Il s’agit des moteurs Leap-1C de CFM International (coentreprise entre GE et Safran Snecma) pour le C919 et le CF-34 de GE Engines pour l’ARJ21. Sachant que la motorisation d’un avion représente entre un quart et un tiers du coût total d’un appareil, on comprend que non seulement l’indépendance industrielle d’un pays est de la plus haute importance mais qu’il s’agit aussi d’une affaire de « gros sous ». Pourquoi laisser passer l’opportunité d’une telle manne d’autant qu’une fabrication nationale est de nature à réduire les achats à l’étranger et améliorer ainsi la balance commerciale du pays.
La Chine ne part pas de rien
Depuis de nombreuses années la Chine a mené des études visant à maîtriser la technologie des moteurs d’avion.
Il suffisait de visiter les salons aéronautiques ou participer à des congrès technologiques en Chine pour s’en rendre compte. Et malgré quelques projets tel que le moteur CJ1000A (développé par ACAE) avec en ligne de mire la motorisation du C919, il n’est pas de moteur chinois qui réponde aux exigences actuelles du marché commercial concurrentiel.
ACAE qui tire son acronyme d’Avic Commercial Aircraft Engines et qui est partie prenante de la nouvelle entité chinoise, n’est pas un inconnu des industriels occidentaux puisqu’ils ont déjà noué des partenariats.
Ainsi la motorisation du C919 par des moteurs de la famille Leap s’est accompagnée d’un accord afin que les moteurs destinés à ces appareils soient assemblés chez ACAE en Chine.
C’est un bon moyen d’acquérir sinon l’entière technologie du moteur, pour le moins la maîtrise de l’industrialisation d’un tel moteur. Or le CJ1000A sera un concurrent direct des CFM International Leap et des Pratt & Whitney PW1000G des avions Boeing 737 MAX et Airbus A320neo que cherche à concurrencer le C919. Le CJ1000A se positionne aussi sur le créneau du moteur PD-14 du Russe Aviadvigatel.
La nouvelle entité
L ‘annonce de la création formelle du motoriste chinois a été faite par le président Xi Jinping via l’Agence étatique Chine Nouvelle le dimanche 28 août.
Dénommé Aero Engine Corporation of China (AECC) son capital est détenu par le gouvernement, la ville de Pékin, Aviation Industry Corporation of China (Avic) et Commercial Aircraft Corporation of China (Comac). Mais aucun détail n’a été fourni quant à la répartition du capital entre les quatre protagonistes. Un capital qui s’élève à 50 milliards de yuans, soit 6,7 milliards d’euros. Au total se seront 96 000 personnes qui seront employées par la nouvelle entreprise.
Non seulement elle a été mise en place pour regrouper toutes les forces vives que compte le pays quant à la production de moteurs d’avions, mais elle regroupera aussi tout ce qu’il compte en terme de bureau d’études, de développement ou encore de conception.
Tous les intervenants occidentaux savaient depuis bien longtemps qu’un tel motoriste en Chine verrait le jour. Que ce soit chez General Electric, Pratt & Whitney, Safran Snecma, Rolls-Royce. C’est face à eux que dans l’avenir AECC veut s’aligner en alter ego. Mais dans combien de temps ?
Pour les groupes attaqués sur leurs créneaux, il faudra du temps aux Chinois avant que d’arriver à leurs niveaux car il faut maîtriser de nombreuses technologies.
Non seulement dans le domaine du calcul, de la simulation, de la résistance des matériaux, la connaissance de ces matériaux, notamment les matériaux métalliques à haute résistance mais aussi les matériaux composites afin d’alléger les moteurs pour atteindre des niveaux de consommation spécifique satisfaisante en terme environnemental, etc. Pour les moteurs militaires que l’entreprise sera aussi chargée de développer il lui faudra aussi maîtriser les technologies de furtivité incontournables à avoir au niveau des avions occidentaux.
De nombreux écueils restent ainsi à franchir par les ingénieurs et techniciens chinois qui laissent probablement une bonne dizaine d’années devant les groupes occidentaux. Mais dix ans ce n’est pas de trop. Et c’est bien pour cela que les ténors actuels redisent sans discontinuer depuis des années qu’il leur faut garder une longueur d’avance pour que de nouveaux venus ne prennent pas leur place. Ceci est vrai non seulement pour les motoristes mais le même moto est sur toutes les lèvres des avionneurs même si les motoristes estiment de leur côté que les technologies déployées pour la mise au point des moteurs sont d’un cran plus élevé que celles pour les cellules d’avions.
Quelle que soit la vérité à ce sujet, on peut tout de même se demander si une avance de 10 années est suffisante et si elle ne risque pas de se rétrécir plus vite qu’on ne le pense.
Nicole Beauclair pour AeroMorning