Carburant d’aviation durable (SAF) : le compte n’est pas bon

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A l’horizon 2030, selon un rapport EASA en date du 30 octobre 2025, les objectifs 2030 de production de carburant SAF seraient en bonne voie de réalisation, tout en ne remplaçant pas tous les carburants fossiles utilisés en aviation à cette époque.

A l’horizon 2050, selon une étude globale portée par l’Association du Transport Aérien International (IATA), le monde serait en capacité, sur le papier, de produire près de 400 millions de tonnes de carburant d’aviation durable (SAF). Bien qu’il s’agisse d’un volume important, il a été considéré comme insuffisant pour atteindre l’objectif net zéro du transport aérien, qui suppose environ 500 millions de tonnes de SAF par an.

En cette fin d’année 2025, la production mondiale de SAF plafonne à environ 2 millions de tonnes, soit à peine 0,7 % de la consommation mondiale de kérosène. Il a été estimé que pour respecter la prévision de neutralité carbone adoptée par les compagnies aériennes, cette production devra être multipliée par un facteur proche de 250 d’ici 2050. L’objectif est alors d’atteindre quelque 500 millions de tonnes par an. Plus facile à dire qu’à faire.

SAF : quel est le nœud du problème ?

Il existe deux grandes sources de SAF : le SAF biologique (bio-SAF) à base de biomasse d’huiles, de biomasse solide-déchets, d’éthanol – isobuthanol ou de sucres et le SAF synthétique (e-SAF) produit à partir de CO2 et d’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable (hydrogène « vert »).

La question qui agite les acteurs de l’aérien est posée : disposons-nous réellement de suffisamment de ressources, en particulier de déchets et de résidus, pour soutenir le décollage massif des SAF ? La réponse est, comme souvent, nuancée. Le gisement existe. Le potentiel de biomasse mondiale doit effectivement atteindre environ 10 000 millions de tonnes en 2030, puis plus de 12 000 millions de tonnes en 2050. L’Association du Transport Aérien International (IATA) vise alors plutôt la capacité industrielle et le cadre politique comme étant les principaux freins au déploiement des SAF. L’instance explique « qu’ils risquent de ne pas suivre le rythme. »

Ce que l’instance souhaite porter est que le facteur limitant n’est pas d’abord le gisement, mais la capacité du secteur à déployer rapidement et massivement les technologies de production. Aujourd’hui, les seules unités industrielles de taille significative de production de SAF reposent quasiment toutes sur la filière bio-SAF HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids), qui transforme des huiles de cuisson usagées et des graisses résiduelles. Les voies plus prometteuses à long terme (gazéification/Fischer-Tropsch, alcool-to-jet, carburants de synthèse e-SAF à partir d’hydrogène vert) démarrent lentement et les autres restent pour la plupart au stade de démonstrateurs ou de projets n’ayant pas encore atteint la décision finale d’investissement. C’est ainsi que, même en supposant une montée en puissance importante de la filière SAF, seulement 70 % du potentiel bio-SAF théorique serait effectivement converti en carburant en 2050, faute de capacités industrielles suffisantes.

L’Europe en première ligne… mais avec un marché encore minuscule

Côté européen, l’Agence de la Sécurité Aérienne de l’Union Européenne (EASA) a publié à l’automne 2025 son premier rapport annuel sur la mise en œuvre du règlement ReFuelEU Aviation, offrant une photographie précise de l’année 2024 en matière de SAF.

Les fournisseurs de carburant y déclarent avoir livré 32,1 millions de tonnes de carburant aérien aux aéroports de l’UE en 2024, dont 193 000 tonnes de SAF, soit à peine 0,6 % du volume total consommé par l’aérien. Dans le détail, les SAF utilisés sont des biocarburants, majoritairement issus d’huiles de cuisson usagées (81 %). Le reste provient essentiellement de graisses animales. Aucune goutte d’e-SAF n’apparaît encore dans le mix.

Le marché reste de surcroît extrêmement concentré : 25 fournisseurs ont approvisionné seulement 33 aéroports de l’UE dans 12 États membres, et cinq pays (France, Allemagne, Pays-Bas, Espagne et Suède) représentent à eux seuls 99 % des volumes livrés.

Le rapport de l’EASA confirme néanmoins que, sur la base des projets identifiés, la production européenne de SAF pourrait atteindre entre 1,4 million de tonnes et un peu plus de 5 millions de tonnes de bio-SAF, auxquels s’ajouteraient 0,7 millions de tonnes de carburants de synthèse e-SAF, dans le scénario à l’horizon 2030. De quoi, sur le papier, permettre de respecter l’obligation européenne d’incorporer 6 % de SAF dans le kérosène vendu dans l’UE en 2030, mais à condition que tous les projets arrivent à maturité, ce qui est loin d’être acquis.

Le vrai goulot d’étranglement : l’outil industriel ?

Pour combler le déficit de 100 millions de tonnes à l’horizon 2050, les organisations insistent sur la nécessité d’un arsenal de mesures qui pourraient à la fois porter sur l’offre mais aussi la demande. Pour les acteurs de l’aérien, le message que souhaitent passer les instances est clair. La bataille du SAF pour 2050 doit se jouer dès cette décennie, sur le terrain des décisions d’investissement, des politiques publiques et de la capacité de la filière à industrialiser vite le secteur. D’un côté oui, le monde dispose des ressources nécessaires pour bâtir une industrie SAF de plusieurs centaines de millions de tonnes et de l’autre côté non, cette industrie ne se matérialisera pas spontanément sans un changement d’échelle rapide des technologies et sans un cadre politique beaucoup plus structurant.

Et pour l’IATA, le volet financier serait comme souvent un levier à explorer. Le passage aux SAF, selon elle, doit se faire par la mise en place de subventions, de garanties ou encore de crédits d’impôts pour les compagnies aériennes qui devancent l’objectif 2050 et permettent ainsi la montée en puissance de l’outil de production SAF qui en retour crée une baisse des coûts. Ce manque de marché et d’industrialisation du secteur provoque effectivement, à l’heure où nous écrivons, des coûts multipliés par trois entre un litre de SAF et un litre de kérosène traditionnel. Le prix moyen du SAF en 2024 était de 2 085 €/tonne (contre 734 €/tonne pour le kérosène classique). De quoi ne pas encourager les dirigeants de compagnies aériennes à mettre des SAF dans les réservoirs de leurs avions, sans compensation financière.

Ces coûts importants sont le reflet d’une filière inexistante autour du secteur. Une filière se traduit par des acteurs de production, de distribution et un marché constitué d’acteurs commerciaux. Rien de mature n’existe à ce jour en ce qui concerne ces carburants. Il est donc demandé à ce que des investissements importants soient faits dans les infrastructures de logistique ou encore de collecte de biomasse. En attendant, le compte n’est pas bon. Et le temps, lui, continue de tourner.

Jean-François Bourgain, le 16/11/2025 pour Aeromorning

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