Le mardi 17 janvier 2017, l’IPSA proposait aux étudiants et professionnels de se plonger dans l’univers fascinant des cockpits du futur à l’occasion d’une grande conférence réunissant divers experts de l’aéronautique.
L’apparition d’une nouvelle génération de cockpits ne s’est pas faite en un jour. Au-delà de l’idée (logique) d’intégrer les dernières évolutions technologiques dans les cabines de pilotage, cette tendance répond surtout à une grande préoccupation du monde du transport aérien : la densification toujours plus importante de son trafic. C’est pourquoi l’IPSA tenait à donner d’abord la parole à Patrick Souchu, directeur du programme européen Single European Sky ATM Research (SESAR) au sein de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC). L’occasion de rappeler qu’aujourd’hui, ne serait-ce qu’en Europe, entre 300 et 400 avions volent au-dessus de nos têtes.
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Un trafic exponentiel
Ce trafic représente la raison d’être du projet SESAR, lancé en 2005. « Le trafic aérien, c’est tout un processus, souligne Patrick Souchu. Il part d’une demande de trafic (plans de vols déposés par les compagnies aériennes) et comporte plusieurs niveaux, comme la prévention et la protection ou le design de l’espace aérien (Airspace Design), avec les routes et tracés permettant d’optimiser ce flux de trafic. Son accélération a commencé au milieu des années 1980, puis il n’a cessé d’augmenter, avec toutefois des fluctuations suivant les grandes crises économiques. Cette évolution n’est pas terminée, au contraire. Il faut s’y préparer. » Cette préparation passe évidemment par la prise en compte de nombreux domaines, à l’instar de la dimension environnementale croissante (pollution sonore, consommation des carburants, émissions de C02, notion de flight efficiency), de la pression constante sur les coûts dans le Ciel unique européen (concurrence États-Unis-Europe, mais aussi concurrence propre aux compagnies aériennes) et de la sécurité des vols. À ce titre, la centaine de personnes composant le SESAR a effectué un important travail de R&D (terminé en 2016, depuis prolongé à 2024) pour apporter des solutions et les déployer jusqu’à l’horizon 2025. Nouvelles technologies, nouvelles procédures opérationnelles, prototypes… Le programme cherche avant tout à favoriser la cohésion et la gestion du trafic via, par exemple, l’échange renforcé de données sol-bord permettant à l’ensemble des acteurs de mieux s’organiser conjointement.
Pour la seconde partie de cette journée spéciale, l’IPSA proposait une table-ronde sur la question de la nouvelle génération de cockpits, pensée pour améliorer la communication et aider encore davantage les pilotes dans leurs missions quotidiennes. Animée par le journaliste Léo Barnier du magazine Aerospatium, celle-ci réunissait Patrick Souchu, Philippe Lievin, directeur de la mercatique chez Rockwell Collins, Vincent Gilles, commandant de bord Boeing 777 à Air France, instructeur et responsable des affaires techniques au bureau exécutif du Syndicat national des pilotes de ligne ainsi que Guillaume Lapeyronnie, cockpit manager au sein de la direction du marketing chez Thales Avionics. Un panel composé de concepteurs, de représentants de l’autorité et d’utilisateurs de ces cockpits.
Man vs Machine ? Un faux combat
À croire Vincent Gilles, pour qui les « interactions hommes-machines seront la clé des futurs métiers d’ingénieurs », le développement des nouvelles technologies laisse souvent place à un malentendu auprès du grand public, celui pouvant être amené à croire que le rôle du pilote ait pu changer au fil des innovations. « Aujourd’hui, les pilotes utilisent des electronic flight bags (EFB) pour des faire des calculs très fins sur les décollages et atterrissages (longueur de la piste, charge réelle, météo…). Nous utilisons également des cartes de vol au format numérique plutôt qu’en papier. Cela fait une différence : quand on va à Tokyo et que l’on amène une charge marchande d’une tonne, on consomme 400 kilos de carburant. Alors il vaut mieux se soulager d’une carte de vol en papier pouvant peser jusqu’à 20 kilos. Enfin, il y a aussi de nombreux systèmes apportant une vision étendue du monde extérieur au pilote, comme la cartographie mondiale de reliefs dont les données, comparées avec le GPS de l’avion, permettent d’être plus en alerte. Pour autant, c’est toujours le pilote qui fait voler l’avion et prend toutes les décisions. C’est fondamental. »
L’homme est irremplaçable
Pour Philippe Lievin, la clé d’un bon cockpit réside donc dans l’approche de son utilisation finale. « L’idée de remplacer le pilote par la machine, c’est un mythe. L’automatisme est là pour l’aider dans la prise de décision, grâce à un niveau d’informations plus fiables et pertinentes. Il y a donc plusieurs questions à se poser : comment aider au mieux le pilote ? Avec quels automatismes ? Pour quels domaines ? » Ces domaines sont au nombre de trois : la communication (via des « sms » envoyés du sol à l’appareil en vol), la notion de vol (le pilote doit amener l’avion du point A au point B, sans se tromper) et la définition de l’environnement (météo en temps réel – il faut en avoir conscience à tout moment –, trafic autour du pilote, en vol ou au sol – camions, autres appareils, etc. –). Mais cibler les améliorations ne suffit parfois pas à changer les choses rapidement selon le professionnel. La faute à un secteur du transport victime de son mode de fonctionnement. « Longtemps, l’aviation était un monde isolé, de Bisounours, où les évolutions se voulaient lentes, à cause des process et standards industriels importants, que ce soit pour les aspects mécaniques et logiciels. Or, en dehors de ce monde, les technologies avancent vite et les utilisateurs finaux, les pilotes, ont du mal à comprendre cette différence : ils aimeraient gagner en vitesse et obtenir des outils aussi faciles d’utilisation que l’iPad qu’ils utilisent chez eux ou voir adapter à l’aviation ce qu’il se passe dans le secteur de l’automobile. C’est une réelle rupture ! »
Pour répondre à ces nouveaux besoins, les concepteurs demandent du temps, car l’insertion même d’un simple écran tactile suppose de réfléchir à toutes les complications possibles. « Si on met en place un écran tactile, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, on doit également proposer des moyens standards d’interactions afin de permettre au pilote de continuer à interagir sur les éléments même en cas de turbulence. Idem quand on doit mettre un routeur/point d’accès Wifi dans un avion, même petit, c’est délicat : nous devons développer nous-même la borne et rajouter des développements spécifiques, pour répondre aux standards. La sécurité prime avant tout. Et, dans tous les cas, les informations envoyées aux pilotes continueront d’être envoyées sur les autres interfaces classiques. »
L’avenir est déjà là
Chez Thales Avionics aussi, les ingénieurs réfléchissent aux conséquences de cette rupture, notamment au travers d’Avionics 2020, lauréat du Red Dot Design Award 2013, qui pourrait être un cockpit à l’horizon 2020. « On arrive à une sorte de limite au niveau de la complexité pouvant être gérée par l’humain dans un cockpit, note Guillaume Lapeyronnie. Il faut donc repenser les cockpits, apporter de nouveaux moyens, en prenant en compte les demandes des pilotes, constructeurs, opérateurs… Bref, toutes des demandes spécifiques ! » Voilà pourquoi Thales développe aujourd’hui cette solution sur trois piliers : remettre l’humain au centre de la conception (« avec aussi une interface orientée en fonction de la tâche que le pilote souhaite accomplir »), construire des aides pour l’équipage à bord et au sol, puis répondre aux attentes des avionneurs (« avec une solution adaptable et personnalisable, permettant aux avionneurs de faire leur propre solution grâce à nos outils »). Thales imagine aussi pouvoir apporter des fonctions totalement nouvelles, comme un dispositif posé sur la tête du pilote lui permettant de visualiser en 3D la trajectoire de l’avion par exemple.