Brève diversion au procès Concorde
Alain Lecarrou, pilote de ligne retraité, est un ancien secrétaire général du Comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) d’Air France. Cité comme témoin par le ministère public au procès Concorde, il a tenu des propos fracassants à la barre, éléphant dans un magasin de porcelaine, certain de son bon droit et d’une parfaite maîtrise de l’histoire technique et opérationnelle de Concorde.
Le CHSCT, qui déboule là où on ne l’attendait évidemment pas, a pour raison d’être, disent les textes, de contribuer à protéger la santé morale et physique des salariés. Il réunit les délégués du personnel et les représentants du comité d’entreprise. Dans le cas présent, il s’est autoproclamé spécialiste de la sécurité aérienne.
A vrai dire, on pourrait se contenter d’affirmer que tout le monde se moque du CHSCT dans le contexte particulier de l’interminable procès Concorde. Mais peut-on décemment passer sous silence un tir nourri d’accusations tous azimuts ? D’autant que le dit CHSCT, excusez du peu, a créé sa propre commission d’enquête au lendemain de la catastrophe de juillet 2000. Et, plus tard, s’est opposé à la décision de remise en vol de l’avion supersonique.
Heureusement pour lui, Alain Lecarrou a soigneusement évité d’utiliser le mot complot. Mais il a quand même affirmé qu’en toutes circonstances, «tout baignait dans l’huile» autour de Concorde, en raison d’intérêts purement économiques auxquels il fallait ajouter des notions de prestige. Aussi aurait-on caché la vérité sur la gravité de nombreux incidents, qualifiant de mineurs des problèmes qui ne l’étaient pas. D’où, affirme cet accusateur, la négligence affichée vis-à-vis d’événements précurseurs. Air France, la première, serait coupable, le BEA également, les autorités, le système, l’establishment.
A l’écouter, chacun a pu se forger une intime conviction : ce témoin-OVNI n’aime pas Air France et critique volontiers, tous azimuts, ceux qui ont cru à l’aviation commerciale supersonique. Après tout, il est normal (et même indispensable) qu’un témoin puisse s’exprimer en toute liberté. Mais celui-ci, en langage de tous les jours, était tout simplement «trop». Trop de mauvaise foi, de contre-vérités en même temps que la volonté de dire que l’accident de Gonesse était prévisible. Lui répondre point par point lui aurait peut-être donné un début de crédibilité.
Mais certains de ses propos ont dépassé les limites de la bienséance, par exemple ses critiques portant sur le livre publié par André Turcat en 1977 puis, dans une version mise à jour, quelques années après l’accident. Personne n’avait jamais osé mettre en doute la parfaite droiture du célèbre pilote d’essais. Lecarrou s’est arrogé ce droit, une faute de goût.
Voici également renforcée la théorie du «y avait qu’à». Remarque cinglante d’un avocat : «un témoin chargé de haine n’est plus un témoin». Bien vu. Mais cette intervention risque de laisser des traces, voire d’accréditer l’idée qu’un microcosme protégeait à tout prix une certaine conception de la sécurité aérienne, un cercle restreint se défendant dont ne sait quelles attaques extérieures. Notre Don Quichotte a vainement tenté de le dénoncer, la présidente du tribunal de grande instance de Pontoise l’a laissé s’exprimer et Lecarrou a ainsi connu son heure de gloire. Fin de l’épisode.
Il faut aussi dire un mot des absents. Si Raymond Auffray était encore de ce monde, il serait évidemment au procès. Il fut un très grand expert judiciaire, très compétent en même temps que très franc. Disons-le tout net, il nous manque, pour sa compétence, son talent, sa gouaille, pour sa manière d’envoyer les faux experts dans les cordes.
Michel Bourgeois, lui, est absent pour cause de maladie. Il fut en charge, au BEA, du difficile dossier de l’incident de Washington de 1979. On devine ce qu’il aurait dit à la barre dans la mesure où une récente émission de Canal + lui a donné l’occasion de revenir sur le contexte de l’époque, tel qu’il l’avait perçu. Cette émission empreinte de subjectivité, de mauvaise foi, charge anti «lobby» Concorde de la première à la dernière minute, avait permis à
d’affirmer qu’on l’avait prié de mettre une sourdine à ses investigations et à ses commentaires. «On» ? Des instructions venues de haut. Cela aurait beaucoup plus à Lecarrou et à quelques autres d’entendre à nouveau cela, qui plus est dans une salle d’audience. Et en l’absence d’un Raymond Auffray capable de remettre les pendules à l’heure.
Heureusement, Henri Perrier et Claude Frantzen ont corrigé le tir. Ils le font patiemment, jour après jour. Mais ils le font, bien sûr, dans les limites que leur permet leur statut de mis en examen.
Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Quoi qu’il arrive, le procès se terminera le 28 mai mais le verdict sera connu au plus tôt en novembre. Ce qui permettra peut-être à certains d’ourdir l’un ou l’autre petit complot dans la coulisse, de dire un peu plus de mal des médias et de répéter encore et toujours «qu’il n’y avait qu’à». Il n’y avait qu’à se procurer une boule de cristal et prévoir l’avenir. Franchement, Concorde méritait de quitter la scène à l’abri de telles querelles. Personne ne pouvait prévoir l’avenir et, aujourd’hui, personne n’est capable de remonter le temps.
Pierre Sparaco – AeroMorning
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