« Le chevalier de l’Espace »
13 juin 2022.
1982, le 24 juin à 16h30 GMT. Jean-Loup Chrétien au sommet d’une fusée Russe Soyouz, et à bord d’un vaisseau Soyouz T-6, décolle de Baikonour avec deux autres cosmonautes, des russes, en direction de la station orbitale soviétique Saliout-7. Ce n’est que la deuxième fois que la station est visitée depuis sa mise en orbite. A bord il retrouve les deux premiers occupants de Saliout-7: Anatoli Berezovoï et Valentin Lebedev. Sa mission dure jusqu’au 2 juillet à 14h20 GMT. Il totalise en atterrissant, toujours avec Soyouz T-6, 7 jours, 21 heures et 50 minutes de vol spatial. Le vaisseau qui l’a conduit dans l’espace, Soyouz T-6 est aujourd’hui et depuis cette époque, cadeau des soviétiques, exposé au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. A voir absolument !
Jean-Loup est un pilote militaire, ingénieur, formé à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence (promo 1959). A cette époque quasiment tous les astronautes (US) et Cosmonautes(URSS) sont des pilotes. Après deux ans d’entraînement (avec sa « doublure » Patrick Baudry) à la Cité des Etoiles près de Moscou, il devient par ce vol, le premier « spationaute » européen de l’Ouest, et le premier français, donc. Peu après il sera le premier non Russe et non Américain a effectuer une sortie extra-véhiculaire dans l’Espace (1988). Et un record de durée !
Pilote de Super-Mystère B2, puis de Mirage III (comme les « Chevaliers du Ciel »), il est admis à l’EPNER, l’Ecole des Personnels Navigats d’Essais et de Réception, à Istres et devient au CEV, (le Centre d’Essais en Vol) le pilote en charge des tests du nouveau Mirage F1 de 1971 à 1973. Puis son cursus se poursuit au CEV et dans l’Armée de l’Air (et de l’Espace désormais) où il devient Commandant. En 1979 lorsque le Président Giscard d’Estaing et Léonid Brejnev (1er Secrétaire du PC URSS) décident d’une mission spatiale commune franco-soviétique, le désormais Lieutenant Colonel Jean-Loup Chrétien est sélectionné (non sans embuches car il a 43 ans), parmi les nombreux candidats retenus par l’Armée de l’Air et le CNES pour la mission PVH, Premier Vol Habité dans l’espace, pour un français et un européen, à bord de Saliout-7. Il part en 1980 avec Patrick Baudry, sa « doublure » en cas de problème, pour l’entraînement de près de deux ans qui précède le vol dans la minuscule capsule triplace qui le conduit à bord de la station orbitale, à 300 kilomètres d’altitude. Dans la station il effectue 9 expériences scientifiques confiées par les CNES (Centre National d’Etudes Spatiales), au cours des 125 orbites parcourues (en 1h30).
C’est à cette époque et pendant ce vol que j’ai « connu » Jean-Loup Chrétien. Journaliste à France Inter, arrivé depuis peu d’Europe 1, je me passionnais pour l’aviation, j’étais déjà, pilote, mais n’avais jamais « touché » à l’Espace. Donc pas suivi comme intervenant les grands évènements de la Conquête Spatiale, même si, dans la nuit du 21 janvier 1969 j’étais collé à un écran de télévision en noir et blanc pour voir Neil Armstrong et Buzz Aldrin (que j’ai bien connu plus tard) marcher sur la Lune, et Collins tourner dans Apollo 11, puis fasciné par Apollo 13 et son Odyssée (et Jim Lovel), et ne ratais pas l’actualité de nos futurs cosmonautes, ou astronautes. On ne savait pas encore jusqu’au vol de Jean-Loup Chrétien en 1982 si ce serait avec l’Est ou l’Ouest. Une fin d’après midi mon rédacteur en chef tout échauffé arrive à mon bureau, où je préparais un bulletin d’informations : « vite, on a une liaison dans 3 minutes avec la Sation Saliout où se trouve le cosmonaute français. Michel Forgit (qui devait l’interroger) n’est pas là, tu dois venir faire l’interview …
Gloire et angoisse. La liaison ne durera que les 6 ou 7 minutes accordées par le Tsoup (Centre de Contrôle Soviétique). Qu’avait-on prévu de demander à son occupant ? Le Président de la République suit alors les aventures de notre cosmonaute, et a même dialogué avec lui, ce qui rend l’interview statégique dans cette radio de Service Public ! Je vais donc, sans courir (très mauvais avant de parler) au studio où la liaison est commutée, et me trouve ipso-facto en ligne avec Jean-Loup, que je ne connais pas. Les questions ne manquent pas tant ma curiosité est attisée… Et bien sûr je suivais ses aventures. Ce sera ma première interview d’un homme de l’espace, un cosmonaute en l’occurrence, et Jean-Loup Chrétien en particulier. Je vais garder le contact avec l’attachée de pressse du CNES, très sympathique (et contente que j’aie sauvé les meubles !). Et avec lui.
Peu après, deuxième anecdote, je pourrai mesurer la bravoure de notre premier spationaute. Nous sommes au Bourget. En France ce dimanche 24 juin 1984 se déroulent les manifestations pour défendre l’Ecole Libre en péril à cause de la loi Savary. Michel Cardoze, jusque là encore militant communiste tient l’antenne. Il interroge Jean-Loup que j’ai invité pour lui. Je suis à ses cotés. Jean- Loup répond au préalable, simplement : « mes pensées sont avec ceux qui manifestent. Même si j’ai accepté de me joindre à vous et donc de ne pas défiler ». Cardoze est moyennent satisfait ( !). Jean- Loup passe à l’Espace. Il aurait pu être carrément écarté de l’antenne. Son geste est donc courageux. Quelque opinion que l’on ait. Je n’ai pas oublié.
Troisième anecdote, le week-end à Morlaix, chez lui, en juin 1983, pendant le salon du Bourget. Il reçoit ses amis de Saliout-7 Berezovoï et Lebedev. Nous sommes partis à deux avions, lui et Patrick Baudry dans l’un avec un invité Russe, Lebedev. Moi avec un photographe réputé et l’interprête dans le second. Le lendemain samedi 4 juin, au retour, nos deux cosmonautes sont avec Berezovoï*, et l’interprète. Ils decollent 5 minutes après moi. Patrick Baudry est aux commandes. Je suis à la verticale, mais sur une autre fréquence radio et n’entends pas lorsqu’au décollage leur moteur s’est arrêté ! Ils ont terminé leur court vol dans un champ de choux, bretons ! L’avion est désarticulé. Ils sont saufs. L’enquête conclura à un problème d’essence. Mais le soir, à Paris, notre ami organisateur de cette équipée, Patrice Kreis, de l’Aerospatiale nous réunira autour d’une bonne table. Tous sont sains et saufs. L’affaire aura fait un sacré bruit !
Jean-Loup Chrétien fera deux autres vols dans l’Espace. Mais d’abord, « doublure » à son tour de Patrick Baudry, il fera l’entraînement à Houston en vue du vol STS 51 G de la Navette Discovery en 1985. Mais ne volera pas. Puis retour vers l’URSS pour la mission ARAGATZ avec les vaisseaux Soyouz TM-7 à l’aller et TM-6 au retour. Du 26 novembre au 21 décembre 1988. Durée du vol 23 jours à bord de la station orbitale MIR. A bord depuis un an, véritables extra-terrestres, les cosmonautes russes Titov et Manarov ! Jean-Loup fera alors avec son compagnon Sacha Volkov sa première et célèbre sortie dans l’espace. A l’époque record de durée, plus de 6 heures, le double que prévu ! A cause de plusieurs difficultés dont un incident qui faillit être tragique pour refermer le SAS du module de la station.
Devenu peu après cette seconde aventure spatiale responsable des astronautes européens (spationautes), il sera mis en retraite d’office en raison de son âge ! Il s’exile alors aux USA où son expérience des vols, et ses compétences des relations avec les Soviétiques (bientôt Russes), et les américains, vu son entrâinement navette passé, le conduisent à devenir un maillon majeur dans les programmes américano/russes, en particulier la constitution de la Station Spatiale Internationale, l’ISS.
Ainsi il pourra ainsi revoler, cette fois-ci enfin, à bord de la navette spatiale : Atlantis, mission STS 86. Du 25 septembre au 6 octobre 1997. Amarrage à la station MIR, qu’il connait bien pour un séjour de 4 jours. Il y récupère son petit clavier d’orgue Yamaha, abandonné 9 ans auparavant ! Un autre vol ensuite, le 4ème, devait lui permettre de dépasser ses 43 jours de missions spatiales cumulés. Mais, un accident bête interrompt son entraînement, et stoppe là sa vie d’extra-terrien.
Il y a donc 40 ans. Point de fête organisée en France ou en Europe pour cet anniversaire. (Sauf une entre amis !). Dommage. Premier européen dans l’espace, premier français et francophone, second non-Russe dans l’espace. Un superbe palmarès. Il n’a pas perdu le contact avec ses amis russes ou américains, avec lesquels il a vécu risques et emerveillement. Travail et prosélitisme pour partager également ses bonheurs. Sur Terre, toujours pilote d’avions, conférencier, auteur, organiste, il se réjouit des nouveaux projets d’exploration spatiale avec la Lune pour première escale. Et coule à Morlaix, avec Florence, des jours heureux en sa Bretagne aimée. Pozdravleniye, congratulations, bravo ! Michel Polacco pour AeroMorning. 13 juin 2022.
*Les Russes, par sécurité, souvenir de l’accident aérien de Youri Gagarine, ne veulent pas que leurs deux cosmonautes voyagent en avion ensemble. L’un fait donc l’aller en vol, l’autre le retour, tandis que c’est par la route qu’est acheminé celui qui ne peut voler.
-Lire absolument : Jean-Loup Chrétien, « Sonate au clair de Terre » : Itinéraire d’un Français dans l’espace, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 1993, 232 p. (ISBN 2-207-24153-X).
-Lire également : « Mission MIR. Journal de bord ». Editions Michel Lafon. 1998.
-Et pour le contexte général, mon ouvrage de 2009 : « La Conquête Spatiale pour les Nuls ». Editions First. Epuisé mais accessible sur les sites d’occasions.
-Enfin écouter absolument sur le replay d’RTL le récit de Jean-Loup Chrétien fait le 8 juin 2022 en direct de la Cité de l’Espace de Toulouse. Aussi passionant qu’émouvant : https://www.rtl.fr/programmes/jour-j/7900162147-l-integrale-jean-loup-chretien-a-jamais-le-premier-francais-dans-l-espace-depuis-la-cite-de-l-espace