Ce n’est plus un secret : le marché des avions d’affaires connaît une stagnation de son activité depuis maintenant dix ans. Pourtant, des grands fabricants historiques tels que Dassault, Bombardier ou Cessna n’ont depuis eu cesse de stimuler la relance en commercialisant de nouveaux modèles. Et si la solution pour redonner du souffle à ce marché résidait dans le développement d’un concept entièrement nouveau ? L’entreprise britannique Samad Aerospace, en travaillant sur le premier jet privé à décollage vertical promet de révolutionner la façon dont les hommes d’affaires se déplacent et souhaite relancer la demande. Lors d’un entretien exclusif avec le PDG de la start-up, Seyed MOHSENI, nous lui avons posé des questions pour tenter d’en apprendre davantage sur l’avion développé et sur la façon dont il entend mener à bien l’objectif d’une première livraison en 2024.
Le Starling Jet, prévu pour emporter dix passagers, est le premier Jet d’affaires conçu avec la capacité à décoller et atterrir verticalement, tout en offrant une croisière à des vitesses semblables aux avions d’affaires actuels. Une véritable prouesse technique qui aura un coût : pouvez-vous donc nous en dire plus sur le segment de marché que vous visez ?
« Chez Samad Aerospace, notre préoccupation principale, c’est le temps de nos clients. Pour les hommes d’affaires qui ont de nombreuses responsabilités, il n’y a pas de paramètres plus importants. Les déplacements professionnels rythment les journées de ces personnes qui sont souvent amenées à se rendre dans un ou deux pays différents en l’espace d’une même journée. En offrant un avion d’affaires à décollage vertical, nous voulons permettre à notre clientèle de s’affranchir des contraintes liées aux déplacements vers les aéroports d’affaires. Le Starling Jet permettra aux passagers qu’il transporte de décoller et atterrir au plus proche de leurs besoins, parfois au cœur même des villes, là où les centres d’affaires se trouvent. Au-delà de cette capacité, les passagers retrouveront dans cet avion tout le luxe et le confort des avions d’affaires conventionnels. »
Vous envisagez donc de faire atterrir le Starling Jet dans des environnement urbains, là où aucun avion d’affaires n’avait jusque-là pu se poser. Comment comptez-vous résoudre toutes les problématiques techniques et réglementaires (nuisances sonores) que cela implique ?
« Cela est une question qui pointe sur l’élément essentiel de notre stratégie. Nous souhaitons éviter d’avoir à créer une nouvelle classe réglementaire pour permettre à notre avion de voler au-dessus des villes. Pour cela, il y a deux solutions : premièrement, il sera nécessaire de n’utiliser que des couloirs aériens déjà utilisés par les hélicoptères. Ceux-ci existent déjà. Ils sont parfaitement exploitables par le Starling Jet et donnent surtout accès aux principaux centres d’affaires des grandes métropoles comme Paris, Francfort ou New-York. Ensuite, pour apporter une solution à la problématique des nuisances sonores, nous concevons le Jet avec une capacité hybride. Ainsi, toutes les manœuvres en zones urbaines seront réalisées grâce à des moteurs électriques, avant que des réacteurs conventionnels ne prennent le relais pour la croisière. De la sorte, nous rendrons le Starling Jet concurrent à la fois des hélicoptères et des avions d’affaires, dont le total des flottes mondiales actuelles est estimé à plus de 40 000 aéronefs. »
La solution de la version hybride permettrait de rendre l’avion moins bruyant. Alors que vous prévoyez un premier vol du Starling Jet en 2024 et que l’intégration des batteries reste encore aujourd’hui problématique, quelle est votre solution pour rendre cet objectif réaliste ?
« Nous souhaitons avancer graduellement pour parvenir à notre objectif de commercialisation du Starling Jet. Le premier élément de notre plan est un modèle à échelle 1:20 de l’avion. Celui-ci a fait son premier vol ce début d’année 2018 et nous permet de valider certains de nos choix techniques. C’est également un démonstrateur qui servira de base pour le second élément de notre plan : un modèle à l’échelle 1:10, que nous prévoyons de commercialiser en tant que drone électrique pour l’observation et le transport de charges légères. Une fois ces deux premiers démonstrateurs à échelle réduite développés, nous pourront nous focaliser sur la conception du e-Starling, une version électrique et allégée du Starling Jet avec une capacité de sept passagers. Le premier vol est prévu pour 2021. En suivant cette approche, les risques liés à l’intégration des systèmes électriques seront limités car chaque modèle développé profitera des leçons tirées du modèle précédent. »
Pour donner une image des capacités du Starling Jet à nos lecteurs en France, pouvez-vous nous donner un exemple de temps gagné sur un Paris-Monaco ?
« Le trajet Paris-Monaco est un bon moyen d’illustrer les capacités du Starling Jet. Prenons par exemple le cas d’un homme d’affaires basé dans un quartier du centre-ville parisien devant se rendre en centre-ville de la cité monégasque. En décollant de l’héliport d’Issy-Les-Moulineaux, son avion lui permet de gagner le temps d’un trajet vers l’aéroport du Bourget, soit environ 45 minutes. Le vol entre Paris et Monaco dure aussi longtemps que sur les avions d’affaires actuels. Le plus intéressant réside enfin dans la capacité du Starling Jet à déposer directement le client à l’héliport de Monte-Carlo, au cœur de la cité. Un gain de temps considérable, par rapport au trajet classique des visiteurs d’affaires à Monaco, qui doivent obligatoirement atterrir à Nice avant d’embarquer dans un hélicoptère pour la destination finale. Une heure de gagnée, qui s’ajoute aux 45 minutes gagnées à Paris. Cela représente un gain de temps total de près de deux heures sur un voyage d’affaires de 680 km. L’intérêt du Starling Jet prend tout son sens. »
Un intérêt qui semble se confirmer de la part des clients potentiels
Une équipe de Samad Aerospace s’est rendue au Singapore Air Show en février dernier, pour y dévoiler le Starling Jet. D’après les propos de Seyed MOHSENI, « les opérateurs d’avions d’affaires ont montré un intérêt immense pour le projet ». Un total de 53 lettres d’intentions a été déposé à l’occasion du salon et Samad parle d’en accumuler un total de 300 avant fin 2018.
Ces chiffres tendent à montrer la confiance de l’équipe commerciale de la start-up et traduisent un certain intérêt de la part des acteurs du marché. Il reste toutefois à voir comment Samad Aerospace parviendra à faire voler successivement les modèles à échelle réduite du Starling Jet avant d’envisager la production du jet final. De nombreux défis techniques attendent les porteurs du projet, tant sur le plan de la certification que sur celui du vol vertical. Bien entendu, nous vous tiendrons informés de la suite de l’aventure …
Propos recueillis par Loïck Laroche-Joubert, à Cranfield pour AeroMorning